Jacques Macé
Mes histoires, napoléoniennes et autres
Marie-Louise, duchesse de Parme, et son fils
Tout juste divorcé de l’Impératrice Joséphine, Napoléon épouse l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche, âgée de 18 ans, car il lui faut ‘’un ventre’’. Un an plus tard, celle-ci donne naissance à un fils, le Roi de Rome. Même si elle a du mal à s’intégrer à la vie de la Cour de France, Marie-Louise éprouve un sincère attachement pour son époux et satisfait avec sérieux à ses obligations d’Impératrice. Néanmoins, lors des campagnes de 1813 et 1814, elle se retrouve investie d’une fonction de régente qui dépasse manifestement ses capacités. Manipulée tant par les frères de Napoléon que par les ministres qui souhaitent la chute de l’Empire et alors que Napoléon, replié à Fontainebleau, espère l’utiliser comme une carte dans son jeu avec l’Autriche, elle est récupérée par son père l’Empereur d’Autriche et ramenée à Vienne avec son fils. Pour elle, maintenant duchesse de Parme, commence une nouvelle vie qui va durer trente-trois ans.
Le retour à Vienne
Traumatisée par les événements vécus comme un cauchemar de son départ de Paris à son arrivée à Vienne, déchirée entre son amour filial et son dévouement conjugal, Marie-Louise retrouve difficilement ses repères à la Cour autrichienne et a même la nostalgie de la vie parisienne. Mme de Montebello, sa dame d’honneur, quitte Vienne dès le 15 juin, suivie par le docteur Corvisart, le baron de Bausset et le général Cafarelli qui l’avaient accompagnée jusque-là. De sa suite française, ne demeurent auprès d’elle que Mme de Brignole et le fidèle baron de Ménéval, son secrétaire des commandements et aussi confident (jusqu’au 6 mai 1815). Le Roi de Rome est, lui, entouré de sa gouvernante Mme de Montesquiou et de sa berceuse, Mme Marchand, mère du valet de chambre Louis Marchand qui a suivi Napoléon à l’île d’Elbe. Marie-Louise obtient l’autorisation de se rendre aux eaux d’Aix-les-Bains, à condition de laisser son fils en otage à Schönbrunn. Metternich craint en effet que ce déplacement ne favorise ses échanges avec Napoléon et qu’elle n’aille le rejoindre à l’île d’Elbe. En l’empêchant de lui amener son fils, il rend leurs retrouvailles impossibles.
Elle s’installe donc à la Villa Chevalley, où Joséphine et Hortense avaient leurs habitudes et, pour faire bonne mesure, Metternich lui affecte un aide de camp, chargé en fait de la surveiller. Il s’agit du général-comte Adam Aldabert von Neipperg. Celui-ci n’est pas un inconnu pour Marie-Louise. On oublie souvent qu’au milieu de son règne l’Impératrice a passé deux mois à la Cour de son père l’empereur d’Autriche. En effet, elle quitte Paris le 9 mai 1812 avec Napoléon et l’accompagne jusqu’à Dresde. Puis tandis que Napoléon se dirige vers Koenigsberg, Vilna et la Russie dont il ne reviendra qu’en décembre, Marie-Louise, avec sa Maison, accompagne sa famille paternelle à Prague où elle restera jusqu’au début juillet et ne regagnera Paris que le 18 juillet. Pour éviter les frictions entre la cour autrichienne et l’entourage de l’Impératrice des Français, le colonel-comte von Neipperg, aide de camp de l’empereur d’Autriche et parfaitement francophone, assume la charge de chambellan. Il est possible que certains aient pu alors observer que Marie-Louise n’était pas insensible au charme indéniable de cet officier, en tout bien tout honneur, et que ce fait ne fut pas étranger à la désignation de Neipperg deux ans plus tard.
Adam von Neipperg
Qui est donc ce Neipperg qui, souvent, a mauvaise réputation chez les Français, depuis que Chateaubriand l’a qualifié de « coucou venu déposer ses oeufs dans le nid de l’Aigle » ?
Né en 1775, Adam von Neipperg appartient à une vieille famille de soldats et de diplomates au service du Saint Empire romain germanique depuis le XIIIe siècle, originaire de Schwaigen dans le Wurtemberg, où elle est propriétaire de vastes domaines viticoles. Son père est un diplomate renommé et aussi un inventeur, notamment d’une machine à polygraphier les documents. Mais on dit aussi que son père biologique est un comte français car le comte Léopold Joseph von Neipperg, son père officiel, était plus attiré par l’amour de la mécanique que par la mécanique de l’amour. Quoi qu’il en soit, le jeune homme fait ses études à Stuttgart, Strasbourg et Paris ; il est parfaitement francophone. Il combat les armées de la République française à Jemmapes, à Neerwinden, est grièvement blessé au visage à Daelen où il perd un œil. Il portera dès lors un bandeau noir sur l’œil droit pour cacher sa cicatrice. Fait prisonnier par les Français, il manque de peu d’être fusillé car on le prend pour un émigré engagé chez l’ennemi. Il conservera de cet épisode une vive haine des Français qu’il combat à Novi, au Mincio et à Marengo. Colonel lors de la campagne de 1809, il est envoyé à Paris après le traité de Vienne pour négocier l’échange des prisonniers. Lors de son voyage de retour, il se trouve par hasard à Strasbourg le 23 mars 1810 et assiste dans la cathédrale à l’accueil de Marie-Louise en terre française. Il est ensuite nommé ambassadeur à la Cour de Stockholm et impressionne fortement Mme de Staël qui s’y trouve alors et le surnomme le Bayard allemand. Sa bravoure n’est égale qu’à son charme près des dames. A Mantoue, il a enlevé en 1807 une certaine Mme Remondini, née comtesse Theresa Poli, qu’il épousera en 1813 à la naissance de leur quatrième enfant. Après la bataille de Leipzig, il est promu lieutenant feld-marschall.
A Aix durant l’été 1814, Marie-Louise est fort satisfaite des attentions de son compagnon de voyage. Le 22 juillet, elle écrit à son père : « Je suis logée ici petitement mais bien. Le comte de Neipperg est plein d’attention pour moi et sa façon de faire me plait tout à fait ». Elle lui plaira de plus en plus jusqu’à un soir d’orage lors du voyage de retour vers Vienne, le 27 septembre 1814 à l’auberge suisse Au soleil d’or, à Kusnacht au bord du lac des Quatre-Cantons. Tout l’entourage de l’impératrice se rend bien compte qu’elle n’a pas l’intention d’affronter seule le tonnerre nocturne et s’en désole. A-t-elle appris que, vingt jours auparavant, Napoléon avait reçu Marie Walewska à l’île d’Elbe ? Ils étaient maintenant quittes en quelque sorte. Pendant la première partie du Congrès de Vienne, Marie-Louise veille au maintien de son titre de duchesse de Parme que certains voudraient lui retirer ; elle est partagée entre l’espoir de rejoindre son mari dans des circonstances plus favorables et le désir de s’appuyer sur son amant. Situation cornélienne. Nous n’ignorons rien de ses affres grâce aux mémoires du baron de Méneval. En février 1815, il écrit : « Spectateur impuissant, mais non indifférent de ce qui se passait autour de moi, je ne pouvais qu’être péniblement affecté de voir l’impératrice, placée entre son devoir comme épouse et comme mère et son désir d’aller régner à Parme (ce qu’elle ne pouvait obtenir que par un double sacrifice), prendre si facilement son parti dans cette fâcheuse alternative, qui lui avait causé jusque-là tant de sollicitude ». Elle apprend que, à l’encontre de ce qui lui avait promis, le duché de Parme ne serait pas transmissible à son fils. Lors des fêtes du Noël 1814 à Vienne, Neipperg s’affiche publiquement comme le chevalier servant de Marie-Louise, avant de la quitter momentanément pour aller à Naples négocier un traité secret d’alliance de l’Autriche avec le roi Murat, inquiet de la pérennité de son trône.
Les Cent Jours
Cet équilibre fragile est rompu par le débarquement de Napoléon à Golfe-Juan. Et voilà qu’en avril 1815, la comtesse de Neipperg décède fort opportunément. Neipperg est maintenant veuf et entièrement libre. Tout cela ouvre de nouvelles perspectives, alors que le nonce apostolique en Autriche et l’archevêque de Vienne expliquent que, le Pape n’ayant pas ratifié l’annulation par l’Officialité de Paris du mariage de Napoléon et Joséphine célébré avant le Sacre par le cardinal Fesch, le mariage religieux de Marie-Louise pourrait être considéré comme nul. Marie-Louise tremble maintenant pour son amant qui a rejoint l’armée pour une dernière campagne contre Napoléon. Avant de regagner Paris pour informer Napoléon de la situation à Vienne et de l’absence de chance d’un retour de son épouse et de son fils, Méneval exprime son amertume : « Cette princesse, dépourvue de toute protection, environnée d’embûches, égarée par de perfides conseils, était devenue l’instrument trop docile d’une politique sans scrupules. En dépit de mes peu rassurantes prévisions, je demeurais péniblement impressionné en constatant que Marie-Louise abandonnait la seule ligne de conduite dont le souci de sa propre gloire aurait dû lui commander de ne jamais s’écarter ».
Depuis son retour de cure, Marie-Louise et son fils ont la jouissance d’une aile du palais de Schönbrunn. Sans doute ne reçoit-elle pas les lettres pressantes que Napoléon lui adresse et qui la ramèneraient vers un passé qu’elle souhaite oublier. Maintenant elle tremble surtout pour Neipperg qui est reparti en campagne et va contribuer à la défaite de Murat à Talentino. Mais tout rentre dans l’ordre fin juin et, sans doute, n’est-elle même pas informée que son fils se serait nommé Napoléon II pendant 36 heures ? Elle passe l’été à Baden et, le 15 août 1815, alors que son époux célèbre en mer son 46e anniversaire, elle écrit à son père : « J’espère que nous aurons maintenant une paix durable puisque l’empereur Napoléon ne la troublera plus jamais. J’espère qu’on le traitera avec bonté et clémence, et je vous prie, cher papa, d’y contribuer. C’est la seule prière que je puisse oser, et c’est la dernière fois que je m’occuperai de son sort ». Les choses ont le mérite d’être claires. Elle ne songe plus qu’à partir mener une dolce vita dans son duché de Parme. Il y a cependant un obstacle, ce fils dont Metternich et le gouvernement autrichien ne peuvent admettre le séjour dans cette Italie où grouillent, de Rome à Florence et Trieste, les membres de la famille Bonaparte. Marie-Louise se résigne donc à laisser le petit Franz âgé de 4 ans à Vienne, à la garde de son grand-père qui, d’ailleurs, manifeste un vif attachement envers ce charmant gamin. Mais Mme de Montesquiou a été renvoyée en France, pour être remplacée par un gouvernante autrichienne, Mme Mitrowski-Scampini. Mme Marchand sera chassée fin 1816, après avoir fait envoyer des cheveux de Roi de Rome à Sainte-Hélène. Dès lors, le petit prince ne parlera plus qu’allemand et devra, à l’adolescence, se réhabituer à parler français. Alors qu’à la cour d’Autriche certains pensaient que le mieux serait de diriger le jeune prince vers l’état ecclésiastique et d’en faire un évêque, son grand-père prit soin d’ériger la ville de Reichstadt en duché et de le lui attribuer, le 22 juillet 1818, avec le prédicat d’Altesse Sérénissime, ce qui plaçait selon le protocole le fils de sa fille Marie-Louise juste après les Altesses impériales.
Duchesse de Parme
Marie-Louise prend son parti de la situation. Le 20 avril 1816, elle fait son entrée dans ses Etats et constitue son gouvernement, dont le comte Neipperg est grand maître de la Cour, chargé des affaires étrangères et du département militaire. En fait, il va être le véritable gouverneur, faisant habilement retomber tous les mérites de ses actions sur sa compagne. Et ils vont être nombreux car Neipperg va contribuer efficacement au développement économique du duché et procéder à de multiples restaurations de monuments et des embellissements dont Parme porte encore aujourd’hui la trace : la construction d’un pont sur le Taro et la réfection du pont de Trebbia, la construction du théâtre de Parme, la restauration du Théâtre Farnèse, la création de l’Hospice de la Maternité et de l’Hôpital de la Miséricorde, des jardins du palais d’été de Colorno, de la galerie de l’Académie des Beaux-Arts, etc. Là on pourrait dire que Marie-Louise s’inspira des travaux de son premier époux dans sa capitale.
Neipperg a la charge de ses quatre fils (Alfred, Gustave, Erwin, Ferdinand) dont l’éducation est partagée entre Parme et l’Autriche. Au palais, les appartements de la duchesse communiquent avec ceux de son principal ministre et leurs portes sont verrouillées chaque soir, à la fin de leurs obligations officielles. Si bien que le 1er mai 1817, Marie-Louise, dont la grossesse est restée discrète, donne naissance à une fille prénommée Albertine. Elle récidive le 8 août 1819 avec un fils prénommé Guillaume. Ces deux enfants sont élevés par un médecin, le docteur Rossi, dans une maison proche du palais. Pudiquement, la Cour de Vienne feint d’ignorer ces événements. Tout aussi pudiques, nos évangélistes de Sainte-Hélène, qui on bien dû en être informés par le commissaire autrichien Sturmer, n’y font pas allusion. Sauf bien entendu le général Gourgaud qui, à son habitude, met les pieds dans le plat en faisant dire à Napoléon : « Est-ce au moins que ce Neipperg est un bel homme ? ». On ne peut donc affirmer que Napoléon était totalement sincère lorsqu’il écrivit dans son testament : « J’ai toujours eu à me louer de ma très chère épouse Marie-Louise, je lui conserve jusqu’au dernier moment les plus tendres sentiments ». Mais la volonté d’écrire lui-même son histoire était la plus forte.
Le 8 juillet 1821, Parme apprend le drame survenu à Longwood le 5 mai précédent. Marie-Louise en est profondément troublée et affectée. Toujours plein de prévenance, Neipperg organise un service funèbre en hommage au ‘sérénissime conjoint de notre auguste souveraine’. Le 19 juillet, dans une lettre à son amie intime Victoria de Crenneville, Marie-Louise s’exprime avec sincérité et lucidité: « Bien que je n’aie eu pour lui beaucoup de sentiments, jamais je ne pourrai oublier qu’il fut le père de mon fils et que, loin d’être mauvais avec moi, il m’a respectée avec beaucoup d’attention, la seule chose qu’on puisse espérer d’un mariage politique ». Dès le 8 août 1821, Marie-Louise et Neipperg font consacrer leur mariage morganatique par leur confesseur. Puis ils procéderont à la reconnaissance de leurs deux enfants qui seront titrés Montenuovo par leur grand-père (italianisme de Neipperg).
Dès lors le couple Neipperg est à la tête de ce que nous appelons aujourd’hui une famille recomposée, de sept enfants : Madame est mère d’un fils de 10 ans qui vit chez son grand-père maternel et dont elle suit à distance l’éducation ; Monsieur a la charge de quatre fils, âgés de 14 à 8 ans, qui l’un après l’autre vont quitter Parme pour poursuivre leurs études à Vienne ; et le nouveau couple a deux jeunes enfants de 4 et 2 ans. Il y aura, semble-t-il, deux autres naissances d’enfants morts en bas âge et une fausse couche.
Marie-Louise va être dès lors une mère très proche de ces deux derniers enfants et notamment de sa fille Albertine, qui sera près d’elle jusqu’à sa mort 25 ans plus tard. Ses rencontres avec son fils aîné sont très espacées (tous les deux ou trois ans seulement), mais par correspondance elle se soucie ostensiblement de son éducation, son désir étant d’en faire un vrai prince allemand. Leurs échanges semblent convenus, les lettres de la mère notamment manquant singulièrement de chaleur et de tendresse. Elle veille cependant à maintenir chez lui une véritable admiration pour son géniteur, tout en lui demandant de lui pardonner ses excès et ses erreurs. Marie-Louise séjourne à Vienne en 1818, 1820 (3 mois), 1823, 1826 et 1828. Neipperg se rend à Vienne pour affaires plus fréquemment qu’elle : il dîne alors avec le duc de Reichstadt et, en beau-père attentionné, ne manque pas de donner de ses nouvelles à sa mère. Celle-ci n’est pas présente près de son fils en 1827, l’année où il atteint la majorité de 16 ans, fixée par son père pour qu’on lui remette les objets qu’il lui avait légués par son testament. Cette année-là, Alphonse de Lamartine lui rend visite à Parme et écrit : Cette princesse, plus à l’aise dans son Etat borné qu’elle ne l’était à une autre époque, se montre infiniment plus aimable et plus spirituelle à Parme qu’à Paris . . . elle parle du passé comme d’une époque préhistorique qui ne tient plus à elle ni au temps présent. Neipperg, homme d’esprit, homme de sens, dirige avec une haute habileté la cour de l’archiduchesse, est à la tête de toutes les administrations ». Les deux fils aînés de Neipperg, Alfred et Gustave, fréquenteront à Vienne le duc de Reichstadt et Alfred de Neipperg nous a laissé quelques souvenirs de cette époque. Le duc voulait avoir confirmation des rapports entre sa mère et Neipperg, et surtout des âges des deux jeunes enfants. Il en parla comme s’il était parfaitement au courant à Alfred. Celui-ci tomba dans le piège qui lui était tendu et confirma que ces enfants étaient nés avant 1821, ce que le duc pressentait.
Le Duc de Reichstadt
En 1828 cependant, Marie-Louise fait un long séjour en Autriche. A Graz, elle rencontre son père et son fils venus au devant d’elle. Elle découvre un jeune homme, mince et grandi trop vite, mais très beau et séduisant, qui prend son indépendance par rapport à son gouverneur le comte Dietrichstein, qui rêve d’une carrière d’officier, sinon plus, et que son grand-père va nommer capitaine des grenadiers de Wasa, puis colonel d’un régiment. Mais Neipperg souffre de troubles cardiaques et d’hydropisie. Au retour de ce voyage, il décède à Parme le 22 février 1829. Marie-Louise est effondrée, brisée. Elle lui fait élever par le sculpteur Bartolini un grandiose monument funéraire, aujourd’hui visible dans l’église Santa Maria della Steccata à Parme.
L’année suivante, les révolutions se propagent en Europe et la population de Parme se soulève contre l’occupation autrichienne. Le ministre Werklein n’est pas aussi populaire que son prédécesseur Neipperg et a le plus grand mal à maintenir l’ordre. Marie-Louise se réfugie à Plaisance, puis voyage en Suisse et en Autriche.
A Vienne se joue un drame. Chaque fois qu’un trône est vacant en Europe, certains murmurent le nom du duc de Reichstadt (Grèce, Belgique, . . .) mais bien sûr Metternich veille. Le duc, tout officier autrichien qu’il est, se passionne alors pour son destin français, encouragé par le chevalier Prokesh, admirateur de Napoléon qui devient son ami. A Paris, le premier jour des Trois Glorieuses, se produisent quelques manifestations au nom de Napoléon II, notamment au Quartier-latin, mais elles sont rapidement noyées dans le flot populaire en faveur du duc d’Orléans dont les cinq fils ont fréquenté ou fréquentent au Lycée Henri IV les enfants de la bourgeoisie parisienne. Fin stratège, Metternich conservera néanmoins dans sa manche la carte du duc de Reichstadt pour exercer des pressions sur le régime de Juillet. En 1831, le maréchal Marmont séjourne à Vienne et rencontre le duc. Cette rencontre sera suivie de dix-sept entretiens au cours desquels Marmont, pourtant si malmené par l’histoire impériale, la lui contera et lui parlera de son père.
Mais depuis le printemps 1830, l’état de santé du duc inspire de vives inquiétudes : toux, enrouement, maigreur. Son séjour avec sa mère à Baden à l’été 1830 n’arrange rien : on parle maintenant de tendance scrofuleuse et de prédisposition à la phtisie de la trachée. Un séjour hivernal sous le climat italien, qui pourrait peut-être apporter une amélioration, est inenvisageable politiquement. Durant l’année 1831, la situation ne fait que s’aggraver, la tuberculose progresse, le duc refuse de mener une vie plus calme, commandant des manœuvres militaires, menant en parallèle une vie mondaine intense et se livrant à des intrigues galantes, comme l’écrira son ami Prokesh : « Différentes circonstances concoururent pour donner une nouvelle force à la maladie. De ce nombre sont les fatigues des excrcices militaires, les chasses, l’équitation pendant plusieurs heures de suite et avec des chevaux différents, enfin le manque du sommeil qui était si nécessaire à son corps et dont malheureusement il se priva souvent durant les deux dernières années où il fréquentait la société ».
Alertée mais souffrante, Marie-Louise ne met qu’un empressement limité à rejoindre Vienne, s’attardant trois semaines à Trieste. Le 21 juin 1832, elle arrive enfin à Schönbrunn où l’on ne se fait plus d’illusion et reste au chevet de son fils jusqu’à l’issue fatale du 22 juillet. Quinze ans plus tard, en décembre 1847, remariée avec un franco-autrichien, le comte de Bombelles, elle rejoindra son fils dans la crypte des Capucins, jusqu’à ce qu’en 1940 Hitler ne décide de séparer de nouveau le fils et la mère, pour rapprocher l’Aiglon et son père.
© Jacques Macé