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Le Jeune Souvenir napoléonien

1954 – 1957

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          La vie politique française a été marquée dans les années 1930 par un foisonnement  de ligues et de mouvements patriotiques ou nationalistes, certains se réclamant du bonapartisme : Groupe Napoléon, Volontaires bonapartistes, Etudiants bonapartistes, Jeunesses bonapartistes, Cercle Napoléon, les Abeilles (pour les dames), etc. Le jeune Prince Louis Napoléon ( en exil en Belgique et en Suisse), dont ils se réclamaient, s’en tenait à l’écart tout en les observant à travers le Conseil bonapartiste qu’il avait créé et gérait avec le général Koechlin-Schwartz, alors que le Parti de l’Appel au Peuple, très actif dans la vie politique de 1876 à 1924, ne comptait plus que deux ou trois députés et un sénateur. C’est dans cette mouvance que se créa fin 1937 à Nice, à l’initiative de Madame Eugénie Gal, la Société d’Histoire napoléonienne, se voulant dès le départ apolitique, même si ses membres ne l’étaient pas.

Au printemps 1940, conscient de l’attrait de membres de ces groupes pour le fascisme hitlérien, le Prince, qui s’était engagé dans la Légion sous le nom de Blanchard, prononça leur dissolution. En juillet 1940, la Révolution Nationale, prônée par le maréchal Pétain, rencontra une audience favorable dans certains de ces milieux avant que Montoire et ses suites ne viennent produire un clivage. Ainsi, le 15 décembre 1940, lors de la remise par Hitler des Cendres de l’Aiglon à la France, vit-on se réunir autour de l’ambassadeur Otto Abetz et en présence de la princesse Clémentine (1), nombre de personnalités bonapartistes ou déclarées telles, tandis que l’absence du prince Louis y était remarquée. 

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        Mise en sommeil durant l’Occupation, la Société d’Histoire napoléonienne, allait renaître en 1945 et reprendre ses activités, toujours depuis Nice et sous la présidence de Madame Gal,  faisant paraitre sous le nom de Souvenir napoléonien un bulletin mensuel dont le n°1, dit nouvelle série, est daté de juin 1948. Dès le n° 7 (décembre 1948), apparait dans son bandeau la mention : « Sans but lucratif. Ni politique », marquant bien l’orientation historique et culturelle que sa direction entendait donner à la Société.

Le Souvenir napoléonien possédait une antenne parisienne animée par des historiens renommés, tels le commandant Lachouque, Georges Mauguin, le docteur Flammarion, et Madame Jeanne Pajot (voir annexe 1) qui recevait chaque samedi les adhérents et amis du Souvenir napoléonien dans son appartement du 3 rue du Cirque (2).

SI le bulletin du S.N. rendait largement compte des activités (mariage, naissance des enfants) du prince Louis qui s’était illustré dans la Résistance, la mouvance maréchaliste était également prégnante parmi les adhérents, inspirés notamment par le  général Weygand et Jean Borotra qui, eux-mêmes internés en Allemagne début1943 (3), entretenaient le sentiment que le maréchal Pétain s’était sacrifié pour préserver la France d’une situation encore plus cruelle et avait été traité d’une manière bien indigne à la Libération. Le respect d’une neutralité politique était donc difficile à maintenir et, encore en 1970, refondant les structures du Souvenir napoléonien, Guy Godlewski indiquait, sans langue de bois, que « le Souvenir Napoléonien avait, à tort ou à raison, la réputation d’être le dernier bastion du parti bonapartiste ». 

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Place aux jeunes

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          En 1954, un jeune homme de vingt ans, adhérent du S.N. et nommé Jean-Claude Manescau lance l’idée que les jeunes du S.N. se regroupent et organisent des activités où ils jouent un rôle actif plutôt que de seulement y assister. Il reçoit l’appui du commandant Lachouque. Donc, dans le Bulletin n° 71 d’avril 1954, parait un appel à la constitution d’un groupe Jeunes, appel qui sera renouvelé dans les n°s 72, 74, 75, 76, 77, 78, etc.. Une cinquantaine de jeunes gens et jeunes filles manifestent leur intérêt. Parmi les tout premiers, Yves Dodeman, âgé de 17 ans et déjà adhérent de l’Institut Napoléon, Claude Peugnet, Maurice Silberstein, belge un peu plus âgé, membre de la Société royale belge d’Etudes napoléoniennes, de retour du Québec et déjà engagé dans la vie politique, Jean Lorzil, royaliste non sectaire, Jacques Buisson, ouvrier chez Renault, etc. Leurs origines sont éclectiques et ils sont unis par leur intérêt pour l’histoire napoléonienne et leur admiration du personnage de l’Empereur Leur enthousiasme est tel qu’ils décident de créer une association nouvelle intitulée le Cercle des Aigles. Ils en écrivent même les statuts. Le commandant Lachouque et d’autres personnalités comme  Mme Jammes, secrétaire-trésorière du Comité pour la messe du 5 mai, les en dissuadent, les mettant en garde contre une opération du type de celle dite Jeune Nation. qui avait agité le Souvenir napoléonien quelques années plus tôt, et traumatisé certains  d’entre eux (voir annexe 2).

Ils décident donc de constituer seulement une section Jeunes au sein de l’antenne parisienne du S.N., sous la présidence d’honneur du commandant Lachouque, avec Jean-Claude Manescau, président, Claude Peugnet, secrétaire général, Yves Dodeman, bibliothècaire. Il n’y a pas de trésorier car chacun va apporter ses deniers aux activités auxquelles il participe. D’une manière informelle, ils se désignent sous le nom de Jeune Souvenir napoléonien (JSN).

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         Ces activités démarrent dès l’année 1955, à raison de deux dimanches par mois : une réunion au cours de laquelle un membre du groupe présente un sujet napoléonien qu’il a étudié, préparé, et dirige une discussion ; une sortie en train et ‘‘pique-nique sorti du sac’’ sur un site de la Région parisienne (Rueil, Compiègne, Versailles, Rambouillet, Fontainebleau, etc.), visite d’un lieu ou d’un Musée parisien en hiver. Les réunions se tiennent dans des brasseries aux noms évocateurs : Le Phare de Calvi, Le Murat. Les livres de la Bibliothèque, constituée à partir de dons, s’y échangent. Jacques Buisson expose « Le rôle de l’Impératrice Eugénie dans la chute de l’Empire », Jean Lorzil présente le maréchal Ney. Le 12 novembre, Yves Dodeman commente un émouvant reportage de son pèlerinage à Chislehurst et à Farnborough. Bientôt des sœurs et des petites amies se joignent au groupe et ne sont pas les moins actives. Ainsi, le groupe soutient Renée Casin, enseignante qui publiera sous le pseudonyme de Renée Deburat, un ouvrage extrêmement critique, intitulé Napoléon et les manuels d’histoire (5), pour lequel J.C. Manescau sollicitera (et obtiendra) une préface du général Weygand.  Un Bulletin du Jeune Souvenir Napoléonien, sur deux pages, paraitra en novembre et en décembre 1955.

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         La section Jeunes entretient les meilleures relations avec la Vieille Garde du S.N. parisien. André Masséna, prince d’Essling, président des Amis du Musée de l’Armée, leur confie le fichier de ses adhérents pour accroitre le recrutement chez leurs enfants. Yves Dodeman a conté avec humour leur invitation chez  Madame Pajot qui continuait à tenir un salon hebdomadaire, boulevard Malesherbes maintenant.  Elle brillait devant un auditoire choisi buvant ses paroles, à côté d’une chaise laissée volontairement vacante, expliquant que le prince Napoléon, violant plus ou moins la loi d’exil, y avait posé son impérial séant.

Le rythme des activités se maintient en 1956 mais le nombre des participants à tendance à décroitre. Certains sont pris par leurs études supérieures, le départ pour  24 puis 27 mois de service militaire  se profile pour les garçons alors que la situation se dégrade en Algérie. Début 1957, les activités purement napoléoniennes sont négligées au profit de surprises-parties, éventuellement costumées, chez l’un ou chez l’autre. Car c’est la grande époque des surboums, à une époque où la sortie en boite n’est pas encore entrée dans les mœurs. Néanmoins, le noyau du groupe se retrouve le 5 mai pour la messe aux Invalides.

La dissolution du groupe.

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          Déjà, le 23 avril 1956, une grave crise s’était produite entre Jean-Claude Manescau et Maurice  Silberstein, le second reprochant au président du groupe son autoritarisme et son dirigisme excessifs, le premier soupçonnant le second d’ambitions personnelles, vraisemblablement à connotation politique. Silberstein est exclu. Yves Dodeman nous dit que des réformes sont étudiées mais elles n’aboutiront pas. Le dernier carré se disloque ; Jacques Buisson s’en va travailler au Canada ; Jean Lorzil part à l’armée. Jean-Claude Manescau et Yves Dodeman prononcent en Juillet 1957 la dissolution de la section, mettant fin à cette aventure de leur jeunesse.

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Soixante ans après

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          Une fois installés dans la vie active, pris par leurs occupations professionnelles et familiales, les fondateurs du groupe ne ré-adhérèrent  pas au Souvenir napoléonien. Cinq d’entre eux se retrouvèrent néanmoins en 2004 et  en 2006 pour évoquer leurs souvenirs avant que la mort ne vienne éclaircir leurs rangs (6). Une heureuse initiative d’Yves Dodeman, qui a remis ses archives du JSN au SN, nous a permis de lui faire découvrir la rue de Monceau, ce qu’était devenu le Souvenir napoléonien grâce à Martial Lapeyre,  et de constater que les problèmes n’y étaient pas si différents qu’à son époque : recrutement et place des jeunes dans l’association, risque de dérive de nature politique, combats d’égos. L’Histoire est un perpétuel recommencement.

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Annexe 1

Madame Jeanne Henri-Pajot

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Jeanne Petit de Jeurre, née en 1873, aimait dire que son grand-père, né en 1801, avait assisté aux Adieux de Fontainebleau, ce qui est vraisemblable puisque sa famille était implantée en Seine-et-Marne. Elle épouse  vers 1900 Henri Pajot, dont le père avait créé en 1867 à Montereau-Fault-Yonne une sucrerie industrielle (qui deviendra les Sucreries et Raffineries Bouchon et Pajot, absorbées plus tard dans le groupe Saint-Louis). Cette implantation sur les lieux de l’une des dernières victoires de Napoléon avait dû contribuer à son engagement bonapartiste, et patriote car deux de ses trois frères tombèrent au front en 1915.

Résistante dans le Finistère, gaulliste convaincue, amie de Madame Gal, Madame Pajot participe activement à la relance parisienne du Souvenir napoléonien après la Libération. Elle publie en 1949, sous le nom de Jeanne Henri-Pajot, un ouvrage intitulé Napoléon III, l’empereur calomnié, qui connait un grand succès (7). La permanence du samedi après-midi, à son domicile du 3 rue du Cirque - considéré abusivement comme le siège du S.N. -,  est signalée régulièrement dans le Bulletin du S.N. jusqu’à sa fermeture, pour raison de force majeure, en novembre 1952. Elle est décédée en 1975

 

Annexe 2

Jeune Nation

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Le 24 juin 1949, des personnalités marquées politiquement annoncent la création d’un nouveau mouvement nationaliste nommé Jeune Nation. L’annonce se fait depuis le 3 rue du Cirque, ‘‘siège du Souvenir napoléonien’’, écrivit la presse. Il s’agissait en fait de l’appartement  de Madame Pajot, comme l’a expliqué plus tard Pierre Sidos (8) :

« Après avoir été libéré en 1949, je me rendais régulièrement dans un appartement huppé, rue du Cirque, qui appartenait à Jeanne Pajot, femme d’un riche industriel spécialisé dans le sucre. Tous les samedis, elle tenait un salon qui s’intitulait ‘‘Le Souvenir napoléonien’’. On y trouvait des bonapartistes et des nationalistes, jeunes et plus âgés. Jeanne Pajot m’avait encouragé à lancer un mouvement en me disant qu’il fallait ‘’ regrouper cette jeunesse’’. Elle m’avait proposé de me prêter son salon et m’avait également dit : ‘‘ Si vous faites une plaquette pour lancer votre mouvement, je vous l’imprimerai’’. Comme on baignait dans un milieu bonapartisant, on souhaitait intituler notre mouvement La Jeune Garde. Le problème c’est que c’était le nom d’un chant de la jeunesse communiste. Par glissement, on a donc décidé d’appeler notre mouvement La Jeune Nation. L’article a été ensuite supprimé et par utilisation courante c’est devenu Jeune Nation. Nous souhaitions suivre l’exemple et l’action politique de Napoléon Bonaparte, notamment à l’époque du Consulat ».

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         Jeune Nation se signalera vite par des actions violentes dans le but de renverser la République et d’instaurer un état nationaliste. On comprend ainsi les mises en garde adressées aux fondateurs du Jeune Souvenir napoléonien par leurs anciens qui avaient souffert de l’amalgame de 1949/1950.

Le mouvement, qui compta jusqu’à 3 à 4000 membres fut très impliqué en novembre 1956 dans les manifestations contre la répression de l’insurrection de Budapest par l’armée soviétique, avec incendie du siège du Parti communiste, au carrefour de Chateaudun. Le mouvement fut dissous le 15 mai 1958 pour son rôle dans les événements du 13 mai. Le nom de Jeune Nation et son sigle (la croix celtique) sont réapparus à plusieurs reprises depuis 60 ans dans des journaux et des mouvements d’extrême-droite, plus ou moins éphémères.

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NOTES

 

 1 - Clémentine de Belgique, mère du prince Louis Napoléon.

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 2 - La rue du Cirque est située près du Palais de l’Elysée. Le prince-président s’y rendait au n°14, chez Miss Howard. Un autre président ira au n° 20, en scooter.

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 3 - Après le débarquement américain en Afrique du Nord.

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 4 - Réédite en 2008 chez Economica, sous le véritable nom de son auteure.

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 5 - Pour commémorer le bicentenaire de l’Empire et le cinquantenaire de leur rencontre. A Malmaison, au pied du Mausolée du Prince impérial, pour le 150e anniversaire de sa naissance.

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 6 - Réédité en 1972 aux éditions Beauchesne.

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 7 - Un hommage lui a été rendue dans la RSN n° 285.

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 8 - Ils ont pour noms : Albert Heuclin, journaliste et mandataire aux Halles, Pierre Sidos et son frère Jacques, fils de François Sidos, adjoint de Joseph Darnand à la Milice, jugé et fusillé en janvier 46, Jean Marot, ancien du PPF de Jacques Doriot,  Jacques Wagner.

Pour son  rôle près de son père, Pierre Sidos, né en 1927, avait été condamné à cinq années d’internement, qu’il effectua à l’ancien camp de déportation du Struthof, en Alsace, réutilisé par la République.

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Lire : Novembre 1956 à Paris sur www.persee.fr. Le carrefour de Chateaudun est aujourd’hui  la Place Kossuth (9e arr.). Lajos Kossuth est le héros de la révolution hongroise de 1848 : preuve que la Ville de Paris a le sens de l’histoire. Par la suite, le PCF fit construire par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer son nouveau siège de la place du Colonel-Fabien, aujourd’hui monument historique.

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