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Le sarcophage de Napoléon aux Invalides n’est pas en porphyre !

 

Chaque année paraissent des ouvrages et articles dans lesquels est décrit ou évoqué le sarcophage de porphyre - selon l’expression consacrée - abritant aux Invalides les cendres de l â€˜Empereur Napoléon. Cette erreur scientifique – car le sarcophage des Invalides n’est pas en porphyre antique mais en quartzite de Chokcha en Carélie[1]– suscite régulièrement l’ironie ou l’irritation, selon leur humeur, des minéralogistes.

 

Rappel des faits

Exhumé à Sainte-Hélène le 15 octobre 1840, le corps de Napoléon, déposé dans cinq cercueils – un en fer blanc, un en bois exotique, deux en plomb et un en ébène – est rapatrié en France et reçu en grande pompe le 15 décembre suivant  aux Invalides. Il demeurera exposé dans l’un des chapelles de l’église du Dôme jusqu’au 7 avril 1861, durant les travaux de réalisation de la crypte conçue par l’architecte Visconti pour recevoir un impressionnant sarcophage.

Dès 1843, la Commission chargée de l’aménagement du Tombeau impérial  décide que le cercueil d’ébène reposera dans un sarcophage fabriqué dans le matériau utilisé pour les monuments funéraires des empereurs romains : le porphyre antique de couleur rouge. Il apparaît bien vite cependant que les carrières connues en Italie ne peuvent fournir des blocs de qualité, de taille suffisante pour le projet envisagé. Des recherches géologiques en Grèce, en Bretagne, dans les Pyrénées, etc. ne donnent pas de résultat satisfaisant.

C’est alors qu’un homme de lettres nommé Antoine Léouzon le Duc, fin connaisseur de l’Europe du Nord, signale l’existence au bord du lac Onega de carrières d’une roche dure ayant, une fois polie, une apparence très proche de celle du porphyre. Cette pierre a été largement utilisée dans la construction de palais et de la cathédrale Saint-Isaac à Saint-Petersbourg. Léouzon le Duc est chargé de mission par le gouvernement et se rend à Saint-Petersbourg. Auprès du Corps Impérial des Mines, il  étudie les modes d’extraction, de taillage et de polissage du quartzite de Chokcha. A Cronstadt, il examine les possibilités de transport de gros blocs jusqu’en France. Près du lac Onega et du petit village d’Ignatewskoï, il découvre enfin la carrière de Chokcha - située sur un terrain appartenant à la Couronne Impériale de Russie – et vérifie la possibilité d’extraire de très gros blocs de quartzite. Il prélève des échantillons qu’il envoie à Paris à un spécialiste concerné à double titre, le géologue minéralogiste Pierre Louis Antoine Cordier (1777-1861).

En effet, prés de cinquante ans plus tôt, Antoine Cordier a participé en tant que jeune géologue à l’expédition d’Égypte, au côté du général Bonaparte. Il est maintenant professeur de géologie au Muséum d’Histoire naturelle de Paris, institution dont il a assumé la direction en 1824-1825, 1832-1833 et 1838-1839, inspecteur général des Mines et membre de l’Académie des Sciences. Son rapport est extrêmement favorable :

«  Ce grès est très dur, formé de grains très fins et égaux, ce qui donne une pâte homogène et un peu translucide. Sa finesse et sa dureté donnent des arêtes vives et un poli parfait. Â»

L’accord obtenu, Léouzon le Duc sélectionne quinze blocs, dont l’un pesant 200 tonnes, représentant un total de 400 tonnes. Nicolas 1er, en raison de leur destination, dispense la France de payer des droits. Encore fallait-il acheminer ces blocs : traversée du lac Onega, fleuve Svir, canal Ladoga, Neva, golfe de Finlande, mer Baltique, mer du Nord, Manche et remontée de la Seine jusqu’au quai d’Orsay. Les opérations de taille et de polissage vont ensuite durer deux ans[2].

 

Un peu de minéralogie

Le porphyre est une roche magmatique[3], constituée de cristaux de feldspath dispersés dans une pâte. Durant l’Antiquité, les sculpteurs égyptiens et romains ont utilisé le porphyre rouge antique, dont le principal gisement se trouvait en Égypte, et le porphyre vert antique, exploité en Grèce. Le porphyre rouge antique est une andésite[4] à faciès paléovolcanique dont les feldspaths et la pâte sont colorés par de l’épidote[5] rose (piémontite). Le porphyre vert antique est également une andésite qui contient des cristaux de labrador[6] pseudomorphosés[7] par de l’épidote vert pistache.

Comme le souligne A. Cordier, le quartzite de Chokcha est un grès, c’est-à-dire une roche sédimentaire, sable aggloméré ayant subi un léger métamorphisme[8]. Il n’a « que Â» 1 million 300 mille années, datant de l’époque du Jotnien, à la fin du Gothien. Le Jotnien a été identifié dans le bouclier scandinave et baltique. Il affleure sur la rive occidentale du lac Onega, là où se trouve la carrière de Chokcha. Toutes les roches du Jotnien se caractérisent par leur belle couleur framboise.

Si le quartzite de Chokcha présente une belle apparence qui lui permet d’être comparé au porphyre antique et de l’égaler esthétiquement, il s’agit néanmoins de deux roches de nature et d’origine complètement différentes. Les assimiler l’une à l’autre revient, par exemple, à confondre un régiment de hussards et un régiment de dragons, au prétexte que les deux sont à cheval !

 

Le sarcophage des Invalides pose donc bien un problème scientifique, non de contenu[9], mais de contenant. S’il ne fait aucun doute que le corps qu’il contient est bien celui de Napoléon, il est également vrai que ce sarcophage est taillé dans un bloc de quartzite et non de porphyre.

 

© Jacques Macé

 

Bibliographie

 

A. Léouzon le Duc, Le sarcophage de Napoléon en son tombeau des Invalides, Chamerot, Paris, 1873.

Alain Foucault et Jean-François Raoult, Dictionnaire de géologie, Masson, Paris, Milan, Barcelone, 1995.

SAGA Information, Bulletin de la Société amicale des géologues amateurs, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, n° 118, mars-avril 1992, n° 231, novembre 2003, n° 234, mai 2004 – Articles de Jacques Weill-Hébert et Philippe Berger-Sabatel.

 


 

[1] Le quartzite de Chokcha est parfois improprement appelé  porphyre de Finlande.

[2] Le Musée de l â€˜Armée détient un vase qui a été taillé dans un reliquat du quartzite approvisionné pour le sarcophage.  Le vase contenant le cÅ“ur de Gambetta , exposé au Panthéon, et le mausolée de Lénine sur la Place Rouge à Moscou sont également en quartzite de Chokcha.

[3] En provenance des entrailles de la terre,  par montée lente ou par éruption.

[4] Roche magmatique effusive.

[5] Silicate à structure cristalline spécifique.

[6] Variété de feldspath sodicalcique (plagioclase).

[7] Transformation ou altération de la structure cristalline.

[8] Du fait des compressions subies lors des mouvements et plissements  de l’écorce terrestre.

[9] Jacques Macé, Le corps de Napoléon est bien aux Invalides !, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 445, février-mars 2003.

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