top of page

Fanny et Henri Bertrand, un couple exemplaire

 

 

Général de division depuis le 30 mai 1807, comte d’Empire le 19 mars 1808, Henri-Gatien Bertrand, aide de camp de l’Empereur, devient un familier de la famille impériale à Malmaison et aux Tuileries. A 36 ans, il est toujours célibataire mais il est vrai que ses activités et ses campagnes depuis 1796 ne lui ont guère laissé le loisir de chercher chaussure à son pied.

 

Pourtant, à Malmaison notamment, le couple Bonaparte vit entouré d’un essaim de jeunes femmes, nièces ou cousines de Joséphine de Beauharnais, ou encore amies d’enfance d’Hortense depuis le pensionnat de Madame Campan. Ainsi, Emilie de Beauharnais a épousé Lavalette, Stéphanie de Beauharnais le grand duc de Bade, Eglé Auguié Michel Ney, etc. Une de ces jeunes personnes ne passe pas inaperçue : grande, jolie, vive et pétillante, n’ayant pas sa langue dans sa poche, elle anime les jeux et les soirées. Son origine à la fois française, créole et anglaise ajoute à son charme.  Elle se nomme Elisabeth-Françoise, dite Fanny, Dillon, est petite-cousine de Joséphine et âgée de 23 ans : Napoléon a envisagé de la marier au prince italien Pignatelli mais celui-ci décède inopportunément, ou au frère du prince Borghèse, mais la jeune fille se montre assez difficile.

 

Henri Bertrand n’a d’yeux que pour cette Fanny alors qu’il la laisse indifférente. Tout en effet la sépare de ce général triste et sérieux, introverti, qui n’a rien d’un séducteur. Sans parler de ce tic nerveux qui lui agite l’épaule et dont à Sainte-Hélène les Anglais feront son surnom (Shrug)[1].

Bertrand se confie à Napoléon qui décide illico de marier Fanny à son aide de camp. L’affaire ne doit pas trainer car l’Empereur, après l’entrevue d’Erfurt, se prépare à repartir en Espagne. Madame Dillon, cousine de Joséphine, est mise au courant et chargée d’avertir Fanny qui, furieuse, interpelle directement Napoléon : «  Quoi, Sire, Bertrand, singe du pape en son vivant ! ». Il s’agit d’une citation d’une fable de La Fontaine, Le singe et le léopard, dans laquelle un singe du pape se nomme Bertrand (preuve que la jeune fille avait des lettres !). Mais Napoléon se montre inflexible et le mariage est célébré le 16 septembre 1808 au château de Saint-Leu, propriété de la reine Hortense. Les témoins de Bertrand sont Berthier et Duroc, ceux de Fanny, Talleyrand et Maret. Or, Fanny sera vite conquise par les valeurs morales de son époux, son respect et sa discrétion à son égard, ce qui fera du couple Bertrand le plus uni des couples de l’histoire napoléonienne et leur permettra d’en  traverser ensemble les plus terribles vicissitudes. Ils ont tout juste le temps de se rendre à Châteauroux pour que Fanny fasse connaissance de la famille de son mari, et réciproquement. Elle reçoit d’ailleurs de sa mère, Mme Dillon, une lettre assez savoureuse où celle-ci lui donne ses recommandations sur la manière de se comporter en milieu berrichon. Fanny  éprouvera une vive sympathie pour son beau-frère Bertrand-Boislarge et l’épouse de celui-ci. Mais il faut bien vite revenir à Paris car, dès le 29 octobre, Bertrand part pour l’Espagne avec l’Empereur, laissant Fanny enceinte aux soins de sa mère, Madame Dillon.

 

La famille Dillon

Présentons la famille Dillon. Loyal aux Stuarts, lord viscout Dillon, catholique et pair irlandais, avait suivi en exil le roi Jacques II, puis avait créé en 1690 un régiment irlandais, le régiment de Dillon, au service de France, commandé tout au long du XVIIIe siècle par divers membres de la famille. Sous Louis XV, le régiment s’illustre à Fontenoy  sous les ordres du colonel Henry Dillon qui est tué à Lawfeld en 1747. Vingt ans plus tard, le commandement du régiment est attribué à son petit-neveu Arthur, âgé de 17 ans, bien que Choiseul dise ne pas aimer nommer des « colonels à la bavette ». En 1777, le régiment est envoyé aux Antilles lors de la guerre d’Amérique. Arthur Dillon conquiert les îles de La Grenade, Saint-Christophe, Tobago dont il devient gouverneur, pendant que sa première épouse décède à Paris, lui laissant une fille, Henriette Lucy,  qui deviendra plus tard marquise de La Tour du Pin et mémorialiste. Maréchal de camp, il est affecté en 1783 à La Martinique où il s’éprend de la séduisante Françoise-Laure de Girardin, de mère anglaise, deux fois cousine des Tascher de La Pagerie et veuve du lieutenant de vaisseau Alexandre Vassor de La Touche, dont elle a eu une fille (future duchesse de Fitz James) et un fils. Elle est également courtisée par un certain Alexandre de Beauharnais qui finalement lui préfère sa cousine Josèphe-Rose Tascher de la Pagerie. Le régiment de Dillon étant rapatrié à Cambrai, Arthur y  ramène Françoise-Laure de Girardin, l’épouse à Versailles le 27 février 1785 et, le 25 juillet 1785, naît près de Jemmapes Elisabeth-Françoise, notre Fanny.

 

En 1789, Arthur Dillon est nommé représentant de la Martinique aux Etats Généraux, puis à l’Assemblée nationale et, peu après, Madame Dillon et ses enfants partent pour l’île tandis qu’Arthur reste servir dans les armées de la République où le régiment de Dillon a été intégré. On le retrouve à l’Armée des Ardennes sous les ordres de Dumouriez, près de Valmy mais, proche des Girondins et de Camille Desmoulins, il est suspendu le 1er juin 1793, accusé, condamné par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le 13 avril 1794. Fanny a neuf ans et Henri Bertrand, très compatissant, attribuera à ce drame l’extrême sensibilité de son épouse, son désir de n’être jamais ou le moins possible séparée de lui.

Accompagnée de ses deux enfants Vassor de La Touche, maintenant adolescents, et de la petite Fanny, Madame Dillon décide de s’établir en Angleterre où sa belle-sœur, sœur d’Arthur Dillon et épouse de Sir Jerningham, lui propose de l’accueillir. De 10 à 15 ans, Fanny vit donc près de  Londres où bien sûr elle apprend la langue anglaise, ce qui lui sera très utile vingt ans plus tard, (mais n’anticipons pas). En 1800, la situation ayant été stabilisée en France par le Premier Consul, Madame Dillon décide de revenir s’installer à Paris, où elle est très bien accueillie par sa cousine Joséphine.

 

Vie de couple

A peine rentré d’Espagne avec l’Empereur, le général Bertrand repart dès le 13 avril pour la campagne d’Autriche dans laquelle il jouera un rôle essentiel en construisant les ponts de l’île de Lobau, tandis que son épouse accouche le 13 juin à Paris d’un fils qui reçoit, bien sûr, le prénom de Napoléon. Dès lors, fait remarquable dans l’histoire napoléonienne, Fanny mettra tout son acharnement à suivre son époux dans ses affectations militaires, pour maintenir sa vie de couple et aussi agrandir sa famille car, en vingt-cinq ans de mariage, elle aura six enfants et fera une dizaine de fausses couches : son fils Henri naîtra à Trieste, Alexandre à l’île d’Elbe, Arthur à Sainte-Hélène et Alphonse à Châteauroux.

La paix étant conclue, Fanny, confiant son fils à sa mère, décide de rejoindre son mari à Vienne pour y commencer sa vie de « générale ». C’est là qu’elle rencontre un certain Henri Beyle, plus connu sous le nom de Stendhal, qui va écrire dans son Journal : « Ma voiture me mène chez Mme la comtesse Bertrand, femme qui me parait très aimable parce qu’elle  trouve que je le suis un peu. Nous y trouvons une dizaine de généraux. Mme Bertrand me distingue et m’invite  à la voir à Paris d’une manière qui fera que j’irai. Elle est tout à fait anglaise, adore son mari, parle anglais et j’ai à ses yeux le grand mérite de paraître plaire à une autre femme qui a plus d’agréments qu’elle ». Inutile de dire que cette vie de représentation officielle plait infiniment à notre Fanny. Mais voici que Bertrand est chargé d’une mission d’inspection des fortifications en Croatie, en compagnie de son fidèle aide de camp Paulin. Fanny décide de les accompagner, et quand elle a décidé . . . . Ils partent le 13 octobre et pendant près de trois mois, en calèche ou à cheval, par de mauvais chemins bientôt enneigés, Fanny fait preuve d’un courage et d’une force exceptionnels au milieu de populations hostiles.

 

Paulin  a écrit : « La comtesse Bertrand m’accueillit avec cette grâce parfaite et cette douce amabilité, apanage des femmes créoles, que les années, les malheurs, les chagrins cuisants et la captivité la plus affreuse n’altérèrent jamais. Cette jeune femme était charmante et, dans ses boutades d’enfant gâtée, perçaient mille séductions. J’eux bientôt reconnue en elle, à côté de ses charmes, la femme à jamais attachée de cœur à son mari. Je devinai l’épouse d’action, de franchise, de devoir, qualités sévères qui cependant n’excluaient ni la recherche des amusements du monde et de la cour, ni même les plaisirs frivoles auxquels les femmes des colonies françaises ajoutent tant d’importance »[2].

Ce n’est donc qu’en janvier 1810 que les Bertrand reviennent à Paris où le général peut enfin faire la connaissance de son premier fils. Ils s’installent alors dans le pavillon de La Jonchère, tout près de Malmaison, que l’Empereur leur a donné. Néanmoins, le pavillon nécessite d’importants travaux et c’est en fait Mme Dillon qui se  charge de les faire réaliser, au grand dam des finances du général.  Fanny est de nouveau enceinte. Cette proximité de Malmaison permet aussi à Mme Dillon de rencontrer et de tenter de consoler de son divorce sa cousine Joséphine.

Intermède 1810-1811

 

Après les cérémonies du mariage de Napoléon et Marie-Louise, le couple Bertrand accompagne l’Empereur et l’Impératrice dans leur « voyage de noce » en Belgique. A Bruxelles, Fanny retrouve sa demi-sœur Lucy puisque son mari  H. de La Tour du Pin y est préfet. Ils se rendent ensuite à Anvers où, lors d’une visite des chantiers du port, Bertrand roule avec son cheval au fond d’un bassin. Du haut de la digue, Napoléon l’interpelle : « Vous n’avez rien de cassé ?  - Non, Sire   -  Alors, allez chez votre belle-sœur à Bruxelles et vous me rejoindrez à Paris ».

Bertrand repart de Paris le 25 août pour la Hollande, chargé d’évaluer les moyens de défense des nouveaux départements mis en place après l’annexion  du royaume. Bien que de nouveau enceinte, Fanny décide de l’accompagner, au grand effroi et malgré les remontrances de sa mère. Durant ce voyage mouvementé qui conduira les Bertrand jusqu’à Hambourg, leur voiture verse plusieurs fois. Le toujours fidèle Paulin nous fait un portrait très imagé de la jeune femme dont il escorte les déplacements : «  Jeune, spirituelle, enfant gâtée, vive, impérieuse, mais bonne et rieuse malgré ses équipées enfantines ». Ainsi Fanny  exige de Paulin de réprimander et de frapper un postillon car elle trouve que l’on  n’avance pas assez vite : «  Mécontent, le postillon fait dévier la voiture qui s’enlise dans une profonde tourbière, les 4 roues enfoncées jusqu’aux moyeux. Il fallut y passer la nuit et attendre le lendemain matin qu’on vienne la dégager. Le calme avait succédé à toutes les vivacités de la jeune femme ».

Ils ne reviennent  que le 4 novembre à Paris où, le 18, Fanny accouche d’une fille qui reçoit le prénom d’Hortense (Hortense-Eugénie plus précisément). Le 20 mars 1811, retentissent les 101 coups de canon annonçant  la naissance du Roi de Rome. Mais trois mois plus tard, la famille Bertrand sera absente aux festivités du baptême car repartie sur les routes en direction des Provinces illyriennes dont Bertrand a été nommé gouverneur le 25 mars, pour succéder à Marmont appelé en Espagne.

 

Aux Provinces Illyriennes

Se rendre jusqu’à Laybach avec toute une famille était un voyage éprouvant. Bertrand, Fanny, leurs enfants, les bonnes des enfants, le neveu Fitz James de Fanny, aide de camp, partent en premier. Un second convoi, sous la responsabilité de Paulin, emmène trois semaines plus tard, Mme Dillon, sa petite-fille Antoinette de Fitz James et François de Luppé, cousin martiniquais de Fanny, nommé secrétaire du général. A peine arrivé, Bertrand part en mission d’inspection en Croatie et Dalmatie, toujours accompagné de Fanny bien que celle-ci soit de nouveau enceinte.

A Laybach Fanny va connaître le plaisir de jouer à la souveraine. « Napoléon lui avait demandé de mener grand train de gouvernante et elle ne s’en est pas privée », dira Paulin. Même si les dames de Laybach n’ont pas l’élégance et la finesse de celles des Tuileries, Fanny prend plaisir à organiser des fêtes, des bals avec feux d’artifice dont la population se souviendra longtemps. Puis, au mois d’octobre, toute la cour se déplace à Trieste où la bonne société est plus relevée et plus agréable à fréquenter. C’est là que Fanny accouche le 5 décembre 1811 de son troisième enfant, un fils prénommé Henri.

 

Et nous allons bientôt tout savoir des activités de Bertrand en tant que gouverneur et de la vie de sa famille à Trieste et à Laybach grâce à un jeune homme nommé Amédée Massé.

 

Amédée Massé

Né en 1785, il est le fils de négociants genevois aisés. Il est recruté en 1811 dans les gardes d’honneur du département du Léman. Sa famille, ne souhaitant guère le voir partir en Espagne, prend contact avec l’ex-impératrice Joséphine, qui adresse une chaleureuse lettre de recommandation du jeune homme au mari de sa cousine Fanny. Bertrand se dit tellement débordé par le travail qu’il a justement besoin d’un second secrétaire. Cela tombe bien.

 

Amédée arrive à Trieste le 3 mars 1812 et prend immédiatement sa fonction. Ses lettres à ses  parents, publiées à Genève en 1912, permettent d’entrer dans le cabinet du général et dans l’intimité de la famille Bertrand où le secrétaire est vite admis.

Alors que Marmont se vantait de ne pas se laisser déborder par le travail et d’être libre tous les jours à trois heures (de l’après-midi), Amédée est surpris par la froideur et le rythme de travail acharné de Bertrand : «  Je passe mon temps à écrire, à remettre au net et à expédier des lettres du matin au soir. Si au bout de la journée, le Général échange quelques bonnes  paroles avec moi je ne me découragerais pas, mais j’avoue que cette froideur, et même cette dureté avec laquelle S.E. vous tient à distance, me paraît quelquefois pénible. Heureusement que Mme Bertrand est toujours bonne et aimable. Après dîner, nous parlons ensemble et sa société me fait vite oublier l’âpreté de la journée de travail ».

Au mois de mai,  toute la famille Bertrand se rend à Laybach où le gouverneur s’établit pour l’été : la Comtesse Bertrand, sa mère Mme Dillon, les trois enfants avec leurs bonnes. Les deux secrétaires, Louis de Luppé et Amédée Massé, suivent avec les aides de camp. Amédée conte longuement les fêtes données en l’honneur du gouverneur, où Fanny brille particulièrement par ses tenues et sa grâce au milieu des dames de la bonne société locale. Bertrand le charge de faire fabriquer à Genève, par l’entremise de ses parents, une belle montre guillochée dont qu’il a l’intention d’offrir à Fanny et dont il décrit tous les détails techniques,. Tous se plaignent néanmoins du climat humide et malsain de Laybach, de ses marais. La comtesse Bertrand et ses enfants tombent malades, de même que le frère du général et son épouse qui sont venus passer quelques mois en famille.

 

Les deux secrétaires du gouverneur ne manquent pas de travail : « Il [Bertrand] a l’air de ne jamais penser à ceux qui lui sont le plus dévoués. Au moment de partir, ou de se mettre à table, c’est toujours l’instant choisi pour écrire . . . Il semble que mon général a comme une véritable maladie d’écrire, il semble que tout son bonheur soit dans la dictée, jamais un homme autant favorisé de la fortune n’a si peu joui de la vie. Il se promène tout le jour dans son cabinet et se plait uniquement à écrire, non seulement à l’Empereur ou à ses ministres, mais encore à des subalternes et à des gens qu’il voit plusieurs fois dans le jour . . . Ce métier est fatiguant et je me découragerais si le général, par quelques mots affectueux, ne me faisait oublier les incombances ».

 

Les nouvelles de Russie arrivent à Laybach avec retard. Le 23 septembre, on se réjouit d’apprendre que l’Empereur a emporté une grande victoire devant Moscou et ce n’est, semble-t-il, que le 2 novembre que l’on est informé de l’incendie de la ville. Début décembre, toute la famille revient à Trieste. Le général, qui a reçu des informations confidentielles sur ce qui s’est passé en Russie, est d’une humeur massacrante. La rumeur de son retour prochain auprès de l’Empereur commence à se répandre. Amédée critique la méthode de travail de son chef : « Il arrive qu’on écrit dix lettres sur le même sujet sans jamais donner un ordre positif. Si la modestie du Général peut mériter des éloges, son indécision peu aussi faire naître de grands malheurs. Le Général est, cependant, un homme très instruit. Il craint toujours de ne pas faire assez bien ; quand il me dicte un rapport, on le corrige, on le recopie, on trouve encore qu’il serait mieux autrement, on le barbouille en entier. Dans la précipitation on prend l’écritoire au lieu du sablier et tout est noirci. Il faut déchiffrer la chose, la remettre au net et nous faisons ainsi quatre ou cinq représentations des choses destinées à l’Empereur, au vice-roi et aux ministres ». Mais il rend aussi hommage aux décisions d’administration locale du Gouverneur, à son sens de la justice et de réprobation des abus, aux travaux qu’il entreprend pour relier Raguse à Laybach par voie terrestre.

 

Le 27 janvier 1813, Bertrand annonce à ses proches son rappel à la Grande Armée. Le 17 février, circule la rumeur que Napoléon serait prêt à restituer les Provinces illyriennes à l’Autriche en échange d’un accord de paix. Le 13 mars, Bertrand quitte Trieste et toute sa famille prend la route de Genève. Il a demandé à Amédée Massé de rester à Trieste pour assurer la transmission des tâches administratives auprès de Junot - qui vient d’arriver comme nouveau gouverneur -, s’engageant à le reprendre auprès de lui lorsqu’il le souhaitera. C’est un grand changement : «  Le Duc [d’Abrantès] me paraît galant homme, franc et bon. Il aime aussi peu le travail de cabinet que mon cher général en avait la passion ».  Le moral est en berne : « Le commissaire de police de Trieste, homme qui a beaucoup de moyens et de perspicacité, m’a déroulé l’avenir d’une manière effrayante et j’espère bien que ses pronostics ne se réaliseront pas. Il m’a annoncé la fin très prochaine du Duc, et la libération de tous ces pays-ci de la domination française, sous peu de temps aussi. Il est au courant des idées qui fermentent dans les associations d’étudiants allemands ; il croit que tous les peuples d’Allemagne se soulèveront pour s’affranchir du joug napoléonien ».

 

La campagne de 1813-1814

Bertrand est affecté au commandement du 4e corps de la Grande Armée, comprenant en particulier le corps d’observation d’Italie qu’il a amené en Allemagne. Après deux ans d’absence, il est choqué par l’état de désorganisation de l’armée, les successions d’ordres et de contrordres. Il arrive à temps pour participer à la bataille de Lutzen. En juin, lors de l’armistice de Pleiswitz, il est de ceux qui espèrent, sans trop y croire, que l’armistice pourrait déboucher sur un traité de paix. Il dispose de peu de temps pour écrire à Fanny et c’est le cousin Luppé qui est chargé d’informer celle-ci de la santé du général. Bertrand ne prend guère la plume que pour se fâcher et interdire à Fanny de prendre la route car celle-ci s’est mise dans la tête de profiter de la trêve pour venir rejoindre son mari. Bertrand trouve ce déplacement beaucoup trop risqué et lui demande de se rendre plutôt à Châteauroux où les parents Bertrand aimeraient bien voir leurs petits-enfants. Elle n’en fera rien au grand dépit du général.

 

Lorsqu’en novembre Caulaincourt, qui assume provisoirement le grand maréchalat depuis la mort de Duroc, est nommé ministre des relations extérieures et alors que le général Flahaut semble tenir la corde, Napoléon choisit  Bertrand, privilégiant sans doute la puissance de travail, l’obéissance sans faille, la ténacité du Berrichon à la flamboyance du fils de Talleyrand.

 

L’île d’Elbe

Bertrand accompagne donc Napoléon durant toute la campagne de France et, à Fontainebleau, assiste aux pressions des maréchaux et aux négociations qui aboutissent à l’abdication de l’Empereur et à la tentative de suicide de Napoléon, ce qui le laisse complètement désemparé. Avant de rejoindre l’île d’Elbe dont la souveraineté lui a été attribuée, Napoléon doit constituer l’entourage qui va l’accompagner. Et il faut reconnaître qu’on ne se bouscule pas au portillon. Les maréchaux ne songent qu’à leur reconversion au sein du nouveau régime. On s’attendrait à voir volontaires pour Elbe des hommes comme Caulaincourt, ministre des relations extérieures, le colonel Gourgaud, premier officier d’ordonnance, le général Flahaut, aide de camp si proche de la reine Hortense que Napoléon le traite presque comme un gendre. Mais tous se défilent et ont une bonne raison de ne pas partir. Dans l’entourage proche, seul Bertrand ne peut pas envisager d’abandonner l’Empereur à son sort par admiration pour le courage de l’homme déchu, par respect de la mission qui lui a été confiée et, dit-il, par sens de l’honneur. Pour commander la petite garde qui va les accompagner, on ne trouve que deux officiers de moindre renom, Drouot, artilleur nommé général et aide de camp en janvier 1813,  et Cambronne, nommé général après s’être illustré à la bataille de Hanau le 30 octobre 1813.

 

Avant la chute de Paris, Fanny s’est réfugiée à Châteauroux avec ses enfants. Bertrand lui conseille de ne pas le rejoindre à Fontainebleau, surtout qu’elle entame une nouvelle grossesse, et de ne venir le rejoindre à l’île d’Elbe qu’une fois qu’il s’y sera bien installé pour l’accueillir. Il imagine même que Fanny pourrait résider près de Marie-Louise à Parme, pour maintenir le contact entre Elbe et Parme.

 

Après les adieux de Fontainebleau, Bertrand prend place dans la calèche de Napoléon pour la descente jusqu’à Fréjus. Dans la vallée du Rhône, il affronte la foule en colère tandis que Napoléon part à cheval, déguisé en officier autrichien. Puis c’est l’installation à Portoferraio où Napoléon s’occupe en faisant preuve d’une activité débordante mais quand il s’établit dans la maison des Mullini, en compagnie de Drouot, gouverneur de l’île, Bertrand, faisant fonction d e premier ministre, continue à habiter avec sa famille une maison de Portoferraio, car Fanny a pu  le 7 août venir le rejoindre, accompagnée de ses enfants et de son beau-frère Boislarge. Elle accouche trois semaines plus tard d’un garçon que l’on prénommé Alexandre. Mais ce bébé va décéder à l’âge de trois mois, par suite de l’erreur d’un pharmacien, explique-t-on. Le couple est profondément perturbé par cet accident et Fanny n’éprouvera pas d’attachement pour l’île. Elle est bien obligée de participer à la vie sociale de la petite cour, animée par Pauline Borghèse, mais s’arrange pour rencontrer le moins possible Napoléon et d’ailleurs irrite celui-ci en arrivant en retard aux dîners. Mais elle n’a cure de ses remarques !

 

A partir du mois de décembre 1814, Napoléon sait qu’à Vienne les Puissances envisagent de le déporter loin de l’Europe et a compris que Louis XVIII n’a aucune intention de financer son royaume d’opérette. Plutôt que de s’enfuir vers Naples, il imagine de débarquer en Provence, de traverser les Alpes en plein hiver, d’arriver à Paris et reprendre le pouvoir. Napoléon prépare l’opération en grand secret en mettant dans la confidence Drouot et l’administrateur Pons de l’Hérault. Il se méfie de la réaction de Bertrand et, encore plus de celle de Fanny, lesquels ne manqueraient pas de traiter le projet d’insensé. Ce n’est que quatre ou cinq jours avant le départ que le grand maréchal est informé. Comment s’opposer à l’homme auquel il doit tant, auquel il a décidé de vouer son existence ? Comment ne pas le suivre sans trahir son honneur ? Il exécute donc toutes les opérations préparatoires  à l’embarquement de Napoléon et de sa petite troupe.  Mieux encore : il accepte que les proclamations que l’Empereur a l’intention de diffuser dès son arrivée sur le sol de France soient contresignées :   Le grand maréchal faisant fonctions de major général de la Grande Armée. Le voilà mouillé jusqu’au cou ! La mort dans l’âme mais tenu par le sens du devoir, il laisse à Fanny un message lui enjoignant, au cas où les choses tourneraient mal pour lui, de se réfugier dans sa famille en Angleterre puis, une fois les passions calmées, de revenir en France pour que ses enfants reçoivent une éducation française.

 

Fanny s’amuse de la fureur du capitaine Campbell découvrant la fuite de l’Empereur puis regagne Paris au mois d’avril. Mais fin juin les problèmes recommencent ! Les projets d’exil en Grande-Bretagne, où elle a des attaches familiales, ou aux Etats-Unis ne lui déplaisent pas. Elle prépare son départ avec ses enfants et un couple de domestiques, Bernard et Colette Heymann, au service de la Famille Bertrand depuis plusieurs années. Elle fait ses adieux à sa mère, souffrante et qu’elle ne reverra pas. Elle rejoint son mari et Napoléon à Niort, les suit à Rochefort et à l’île d’Aix, puis à bord du Bellerophon.  Mais, devant Torbay, surprenant les conversations des Anglais, elle est la première à comprendre que la destination finale sera Sainte-Hélène ; elle n’est plus d’accord et fait une terrible scène à son mari, puis tente de se jeter à la mer par un hublot. Bertrand la retient par les jambes tandis que Savary, accoudé au bastingage supérieur, crie à son collègue : « Lâche-la, mais lâche-la donc ! ». Finalement, par devoir conjugal et pour ne pas séparer ses enfants de leur père, elle embarque pour Sainte-Hélène avec des regrets qui vont durer six  ans et vers un exil qui  se révélera pour elle dramatique. A bord du Northumberland, Fanny préside à table à la droite de l’Empereur et sert d’interprète avec les officiers ne parlant ni français, ni italien. Mais, en voyant le funeste rocher jaillir de la nuit, elle aura cette exclamation réaliste et toujours d’actualité : «  C’est le diable qui a ch . .  cette île en volant d’un continent à l’autre ».

 

Les Bertrand à Sainte-Hélène

Pendant sept semaines, les familles Bertrand et Montholon vivent à la pension Porteous , tandis que Napoléon réside aux Briars. Cette promiscuité, après celle du navire,  ne manque pas de créer des tensions et Gourgaud nous conte qu’un jour Fanny Bertrand et Albine de Montholon se traitent réciproquement de catins. Si bien qu’en décembre 1815, lorsque Napoléon est transféré à Longwood House, Bertrand refuse d’y installer sa famille et loue une petite maison à Hutt’s Gate, à 2,5 km du plateau de Longwood. Dès lors, le Grand Maréchal va se rendre chaque matin à Longwood House, comme à son bureau. Puis il rentre en fin de journée à Hutt’s Gate pour y retrouver Fanny et leurs enfants. Ce n’est guère que le dimanche que Fanny se rend à Longwood pour participer au dîner commun des Français.

Les choses se compliquent en avril 1816 avec l’arrivée du gouverneur Hudson Lowe. Bertrand est de plus en plus pris par les litiges liés à la signature des engagements des domestiques de respecter les nouvelles règles, les limitations des déplacements, le projet de construction d’une nouvelle maison. Fanny reste à l’écart, rencontre les commissaires étrangers qui lui apportent des nouvelles inquiétantes sur l’état de santé de sa mère[3]. Sa pratique de la langue anglaise lui permet de nouer une relation amicale avec Lady Malcolm, la femme du nouvel amiral, et même avec Lady Lowe, qui s’inquiète de la santé de Fanny, enceinte.

 

En août à Longwood, circulent les premières rumeurs sur la liaison supposée de Napoléon et d’Albine de Montholon, qui reçoit l’Empereur dans son salon et se rend dans son appartement privé. Les Lowe pensent même que les Bertrand vont demander à rentrer en Angleterre après l’accouchement de la comtesse. Le 20 octobre cependant, la famille Bertrand emménage dans la nouvelle maison construite à 200 mètres de Longwood House et que le gouverneur a fait doter d’une agréable véranda, dominant un impressionnant  paysage. Napoléon prendra l’habitude de s’y rendre pour observer les courses de chevaux sur l’hippodrome de Deadwood. Le 5 décembre, Fanny recevra lady Lowe et lui fera visiter son nouveau cadre de vie. Le 17 décembre, elle accouche, dans des conditions assez difficiles (hémorragie) d’un fils que l’on prénomme Arthur. Quelques jours plus tard, elle reçoit la visite de Napoléon et prononce une phrase entrée dans l’histoire : «  Sire, je vous présente le premier Français entré à Longwood sans la permission de lord Bathurst », démontrant que la captivité ne lui avait  enlevé ni son sens de l’humour ni celui de la répartie.

 

Les deux demoiselles Balcombe rendent régulièrement visite à Fanny et Napoléon,, informé, les convie à Longwood House, chaperonnées par la comtesse Bertrand ;  ainsi Betsy revoit  son vieil ami des Briars. Mais cette année 1817 voit le départ des Malcolm, le remplacement du capitaine Poppleton, l’officier d’ordonnance apprécié des Français. Le général Gourgaud irrite Napoléon en manifestant sa jalousie de l’intimité croissante entre l’Empereur et le couple Montholon. Les Bertrand se tiennent à l’écart et évitent autant que possible de participer aux soirées de Longwood House, surtout qu’à partir du mois de septembre Napoléon, souvent souffrant, ne dîne plus à table avec son entourage mais sur un petit guéridon, seul ou en tête-à-tête avec Montholon.

 

Les premiers mois de 1818 sont mouvementés avec le départ conflictuel du général Gourgaud, le départ de la famille Balcombe, l’expulsion du docteur O’Meara. Bertrand est fort préoccupé par tous ces événements. Le 18 mars, il reçoit une lettre de son père, du mois d’octobre précédent,  annonçant le décès de Mme Dillon, la mère de Fanny. Cette dernière, enceinte, fait une fausse couche le mois suivant. Le général Bertrand, si neutre habituellement dans ses commentaires à la troisième personne, fait enfin montre de sa sensibilité et de sa compassion pour les conditions de vie si difficiles imposées à son épouse. Surtout que Fanny rencontre des problèmes domestiques. L’ivrognerie de Bernard Heymann devient insupportable et Fanny se dispute avec Colette. Le couple est renvoyé en Europe et remplacé par un jeune valet castelroussin, nommé Etienne Bouges , envoyé par la famille Bertrand et une jeune femme de chambre anglaise  nommée Mary Hall, choisie par lady Jerningham, la tante de Fanny.

 

Au début de l’année 1819, Napoléon est très souffrant, passe de longues périodes au lit et on craint même son décès dans la nuit du 17 au 18 janvier. Albine de Montholon scandalise Bertrand et Fanny en se rapprochant du lieutenant Jackson et s’arrange pour quitter Sainte-Hélène sans rompre avec Napoléon (qui regrette vivement son départ). Pendant ce psychodrame, Fanny est de nouveau enceinte et fait une fausse couche dramatique au mois d’août, le médecin accoucheur Livingstone mettant quatre heures pour arriver à Longwood.  Les choses vont bientôt s’améliorer un peu car on annonce l’arrivée de la petite caravane : les deux aumôniers, le docteur Antommarchi et deux domestiques.

A l’incitation d’Antommarchi, Napoléon se met au jardinage. Le docteur donne ses soins à Fanny et préfère passer ses loisirs à la maison Bertrand que dans le salon de Longwood House. Puis, une fois Fanny remise, ils font ensemble de longues promenades à cheval pour herboriser car Hudson Lowe a élargi les limites de libre circulation et Antommarchi, s’il est piètre praticien, est un excellent anatomiste et botaniste[4]. Fanny retrouve un certain plaisir à la vie. Le dimanche, après avoir servi la messe de l’abbé Buonavita à Longwood House, l’abbé Vignali vient dire la sienne à la maison Bertrand où Fanny invite les épouses  catholiques des officiers irlandais. Depuis le départ d’Albine de Montholon, Napoléon essaie d’attirer Fanny à lui rendre visite et reproche à Bertrand de ne pas inciter sa femme à coucher avec lui (par allusions, Bertrand le confie à ses cahiers). Cependant, même si leur mère et l’abbé Vignali leur donnent des cours, l’éducation des enfants Bertrand est fort négligée. Lady Jerningham, la tante de Fanny, se dit prête à accueillir à Londres Napoléon Bertrand, l’aîné des fils, puis à l’envoyer à Châteauroux. Ce projet ne verra pas le jour.

 

En effet, la situation générale recommence à se dégrader à Longwood. A la mi- 1820, la santé de Napoléon devient préoccupante. Il s’enferme de nouveau longuement dans son appartement, son caractère devient exécrable. Cette fois, Fanny n’en peut plus et exige de son mari qu’ils rentrent tous ensemble en Angleterre. Bertrand en parle à Napoléon, demandant un congé de six mois pour emmener sa famille en Europe, promettant de revenir ensuite auprès de l’Empereur. Napoléon acquiesce sur le principe, tout en laissant entendre qu’il ne croit guère en ce retour. Bertrand prépare ce départ avec Hudson Lowe tout en reportant la date du voyage car Fanny est de nouveau enceinte, grossesse qui se termine le 4 février 1821 par une dramatique fausse couche avec complications où on craint bien qu’elle y laisse la vie.

 

Fanny remise, il n’est plus question de partir car l’état de santé de Napoléon évolue irrémédiablement et une fin proche semble inéluctable. Pendant les deux derniers mois, alors que Napoléon refuse de recevoir le Dr Antommarchi, pas assez attentionné à son égard, les Bertrand vont faire preuve d’un dévouement irréprochable. Fanny oublie ses griefs et passe de longues heures au chevet du moribond. Après le décès, c’est elle qui se préoccupe de faire relever un masque mortuaire à remettre à la mère de Napoléon.

 

Le Retour ( 1821-1836)

Les Français de Sainte-Hélène arrivent à Londres le 2 août 1821, accueillis à bras ouverts par lord et lady Holland, le parti whig ainsi que le frère et la belle-sœur de Bertrand et la famille anglaise de Fanny. Ils vont un à un regagner la France mais le cas du grand maréchal est plus compliqué du fait de sa condamnation à mort par contumace du 7 mai 1816. Mais le climat politique est à l’apaisement et le 24 octobre une ordonnance royale prononce son amnistie et le relève dans ses droits et honneurs car des ex-personnalités de l’Empire, des écrivains comme Stendhal en cette période de naissance du romantisme, font de Bertrand le symbole, le héros de l’indéfectible fidélité. La famille Bertrand débarque donc à Calais, et s’établit à Paris. Ce n’est que le 17 mars 1822 qu’elle vient  à Châteauroux, accueillie par toute la population qui lui rend un vibrant hommage dont le Journal du Cher rend compte en termes dithyrambiques. C’est le début d’un culte castelroussin au grand maréchal qui ne s’est pas affaibli jusqu’à nos jours.

 

Les Bertrand résident à Paris dans l’hôtel loué 52 rue de la Victoire, étroitement surveillé par la police. C’est là que se déroulent les réunions animées des trois exécuteurs testamentaires pour le  règlement du testament impérial. Il faudra une commission d’arbitrage composée de Maret, Daru et Caulaincourt pour aboutir en 1826 à un accord où Montholon reçoit la part du lion (1 351 288 francs) tandis que Bertrand se voit attribué 285 514 francs.  Mais ils font aussi de longs séjours dans leur propriété de Laleuf où le général se transforme en exploitant agricole, développant et améliorant les activités de ses fermes. Fanny s’y ennuie à mourir[5].

 

En 1823, elle a donné naissance à son sixième et dernier enfant, prénommé Alphonse. A 38 ans, en quinze ans de mariages, elle a connu 9 ou 10 grossesses et fera encore plusieurs fausses couches jusqu’en 1830. Bertrand, sans y participer, accueille avec enthousiasme la Révolution de 1830, même si elle ne débouche pas sur le règne de Napoléon II auquel il n’a pu remettre le jour de ses seize ans les armes léguées par son père et dont il est le dépositaire. Il est nommé directeur de l’Ecole Polytechnique (à laquelle est admis son fils Henri) mais abandonne cette fonction dès novembre 1931 pour se consacrer à celle de député de l’Indre, puis à la création d’un journal républicain avec Lafayette et Arago.

Mais à partir de 1833, un nouveau drame frappe la famille Bertrand. Fanny est atteinte d’un cancer du sein. Elle lutte pendant trois ans contre d’horribles souffrances et s’éteint à Laleuf le 6 mars 1836. Son corps est ramené à Paris car, culpabilisée par son absence lors de la mort de sa mère, elle a demandé à être inhumée près de Madame Dillon au cimetière du Père-Lachaise. Bertrand et ses enfants feront ériger sur cette sépulture une stèle constituant à la fois un cénotaphe, honorant le général Arthur Dillon, père de Fanny, et rendant hommage à leur épouse et mère, modèle d’esprit, de courage et de bonté[6].

 

Conclusion

Lady Jerningham, la tante de Fanny, avait adressé à sa nièce des bulbes d’immortelles pour lui rappeler que ses parents et amies ne l’oubliaient pas. Ils furent plantés dans le jardin de la maison Bertrand puis les graines, disséminées par le vent, se répandirent dans les vallées environnantes. Si bien qu’aujourd’hui encore dans la Vallée des Pêcheurs derrière Longwood fleurissent chaque année des immortelles sauvages. On les appelle The everlasting  flowers of Mrs Bertrand. Autant en emporte le vent de l’histoire.

 

 

© Jacques Macé

 

 

[1] Le major Gedeon Gorrequer y tenait un journal dans lequel il affublait Français et Britanniques de surnoms imagés.

[2] Paulin ajoute aussi : « Durant notre séjour aux confins de la Bosnie, j’eus l’occasion d’observer les mœurs croates et bosniaques. Ces deux populations, même dans l’état de paix, sont toujours en face l’une de l’autre, armées comme en temps de guerre ».

[3] Madame Dillon n’a, semble-t-il, pas compris la présence de sa fille et de ses petits-enfants à Sainte-Hélène : elle les croyait aux Etats-Unis. Nous dirions sans doute aujourd’hui qu’elle avait une maladie d’Alzheimer.

[4]  Antommarchi a publié, en annexe de son ouvrage Les derniers moments de Napoléon, une description  de la flore de Sainte-Hélène. Il décrit un chardon d’une espèce endémique dont une graine microscopique a été retrouvée sur un cheveu de Napoléon conservé dans le médaillon Vivant Denon, au Musée Bertrand de Châteauroux.

[5] Comme l’explique la communication de Madame Michèle Naturel à ce colloque.

[6] Le 2 décembre 2013, pour donner une suite au colloque de Châteauroux, le Souvenir napoléonien a réuni ses adhérents au Père-Lachaise devant cette stèle en mémoire de la tragédie vécue par Fanny Bertrand.

 

bottom of page