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De Rocherfort à Longwood, le départ de Napoléon de l'île d'Aix

 

Sous la pression du Corps Législatif, Napoléon abdique pour la seconde fois le 22 juin 1815, sans perdre l’espoir de se rétablir. Sa violente altercation du 23 avec Fouché, président de la Commission de gouvernement, lui fait comprendre qu’il doit se résoudre à un exil au moins temporaire et il manifeste l’intention de demander asile à l’Angleterre. Carnot notamment lui fait comprendre que ce n’est pas une bonne idée et lui suggère de se rendre plutôt en Amérique. Decrès fait mettre en alerte, approvisionnées et prêtes à appareiller, les deux frégates qui se trouvent dans le port de Rochefort mais Fouché précise bien au Préfet maritime qu’elles ne pourront appareiller que sur un ordre expresse du gouvernement et sans risque d’être arraisonnées par la flotte anglaise, une demande de sauf-conduits en ce sens étant transmise à Londres.

Napoléon décide de prendre un temps de réflexion  en demandant à la reine Hortense de l’accueillir à Malmaison où il se rend le dimanche 25 dans l’après-midi. Autour du grand maréchal Bertrand, une petite cour de fidèles s’y rassemble. Le soir, arrive le général Becker, chargé par le gouvernement d’escorter l’Empereur jusqu’à son embarquement et de s’assurer qu’il quitte bien le sol français.

 

Lundi 26, mardi 27, mercredi 28, il tergiverse. D’un côté, il prépare ses bagages, règle ses affaires financières avec Laffitte et Peyrusse, reçoit et décourage Marie Walewska prête à le suivre au bout du monde. De l’autre, il déclare qu’il ne partira qu’après réception de sauf-conduits permettant aux frégates d’appareiller dès son arrivée à Rochefort. Pendant ce temps, les Prussiens s’approchent du Nord de Paris où des retranchements ont été rapidement élevés, alors que pratiquement rien n’a été réalisé sur la rive gauche de la Seine. Ils commencent donc à contourner la capitale par l’Ouest, seulement ralentis par la destruction de ponts dans la boucle de la Seine. Le jeudi 29, Napoléon tente une ultime manœuvre en proposant à la commission de gouvernement de prendre la tête des troupes pour repousser l’ennemi et qu’il se retirera ensuite. Bien sûr, il n’est pas cru un instant. Decrès et Boulay de la Meurthe lui expliquent que les Prussiens sont déjà au Pecq, avancent vers Saint-Germain-en-Laye, que Malmaison risque d’être encerclé et lui-même fait prisonnier. A 17 h 30, vêtu en civil, il fait ses adieux à sa mère, à  ses proches, et monte en voiture, accompagné de Bertrand, Becker et Savary (alors inspecteur général de la gendarmerie). Ils arrivent à 22 H à Rambouillet pour y passer la nuit.

 

Le voyage jusqu’à Rochefort

Le 30 juin à 11 H, ils partent de Rambouillet pour un voyage de 35 heures avec de brefs arrêts à Chartres, Châteaudun, Vendôme, Tours, Poitiers, Saint-Maixent et enfin Niort où ils arrivent le 1er juillet à 22 H. Le 2 à la Préfecture, Napoléon retrouve son frère Joseph qui espère s’embarquer à Bordeaux et reçoit le commandant du port de Rochefort qui lui confirme que les frégates La Saale et La Méduse sont bien prêtes à appareiller mais qu’un vaisseau anglais, le Bellerophon, et quelques unités de son escorte bloquent la rade des Basques et le pertuis d’Antioche. La situation se complique car on n’a aucune nouvelle des sauf-conduits.

 

Le lundi 3 juillet au matin, Napoléon arrive à Rochefort et s’installe à la Préfecture maritime. S’y regroupent tous ceux qui par divers moyens ont pris le chemin de Rochefort, soit par fidélité au souverain déchu, soit pour se mettre à l’abri de représailles fort possibles : les généraux Lallemand, Montholon et Gourgaud, les officiers d’ordonnance Planat de La Faye et Résigny, le conseiller d’Etat Las Cases, le page Sainte-Catherine, ainsi que les familles Bertrand et Montholon et une soixantaine de domestiques de la maison impériale escortant neuf voitures bourrées de malles et de caisses. On se doute que les sauf-conduits ne seront pas délivrés et, pendant cinq jours, chacun cherche une solution. L’amiral Martin, en disponibilité mais connaissant bien la côte, propose que Napoléon se rende à Royan pour y embarquer à bord de la frégate La Bayadère de son ami le capitaine Baudin qui se fait fort d’échapper aux légères unités anglaises bloquant la Gironde et de rejoindre en plein mer le Pike, rapide navire américain. Mais encore faut-il que cela se fasse rapidement avant que le capitaine Maitland du Bellerophon ne soit informé de la présence de l’empereur à Rochefort. Napoléon ne peut se résoudre à ce genre d’embarquement ressemblant à une fuite et contraire à son image (ou du moins à celle qu’il veut laisser). Les jours s’écoulent et chacun y va de son projet.

 

Le capitaine Ponée, commandant La Méduse, se déclare prêt à attaquer le Bellerophon et à se sacrifier pendant que La Saale prendrait le large et disparaîtrait dans la nuit. Mais Philibert, le commandant de La Saale, est un légaliste royaliste, et s’y refuse. Entre alors en scène le lieutenant Besson, marié à une Danoise dont le père est armateur. Son cargo La Magdalena est venu à Marennes charger dans ses cuves une cargaison de cognac. Besson propose d’aménager dans l’une des cuves une cachette pouvant accueillir trois ou quatre personnes. Le projet va très loin puisque Las Cases est chargé d’acheter la cargaison de cognac qui prendrait la direction des Etats-Unis au lieu de Copenhague, afin de couvrir le risque de l’armateur. Conscient du ridicule s’il était pris ainsi, Napoléon abandonne le projet. Un Américain  nommé Sys Wider, séjournant à Bordeaux avec son bateau personnel, regagnant les Etats-Unis et grand admirateur de Napoléon, lui propose de l’embarquer sous le nom de son valet de chambre, personne assez corpulente lui dit-il.

 

Tergiversations

Du mardi au vendredi, la semaine se déroule ainsi alors qu’à Paris la Commission de gouvernement a chargé Davout de négocier un armistice qui est signé le 3 juillet au château de Saint-Cloud. Les Anglais ne cachent plus leur intention de s’emparer de Napoléon tandis que les Prussiens rêvent de le pendre haut et court. L’amiral Hotham qui, depuis son vaisseau le Superb au large du Quiberon, commande la flotte britannique jusqu’au Verdon, reçoit l’ordre  de mettre toute ses unités en alerte et leur demande de faire, si nécessaire, preuve de diplomatie, message parfaitement compris par Maitland, le capitaine du Bellerophon. Le vendredi 7 au soir, Becker reçoit de Paris l’ordre d’embarquer Napoléon sur les frégates et de le maintenir en rade, ce qui ressemble fort à un internement pour attendre la suite. Mais il reste, en face de Fouras, l’île d’Aix, fortifiée et où se trouve la toute récente maison du gouverneur, construite à la demande de Napoléon en 1808. Celui-ci décide de s’y rendre pour évaluer les possibilités qu’elle offre.

 

Le samedi 8 juillet à 17 H, Napoléon quitte donc la préfecture maritime de Rochefort, se rend à l’anse de La Coue à Fouras et monte sur le dos d’un matelot de La Saale pour embarquer sur une chaloupe. L’état de la mer ne permet pas à l’embarcation d’aller jusqu’à l’île d’Aix. Il monte alors à bord de La Saale pour y passer la nuit. Le dimanche 9 matin, il débarque à Aix, passe en revue le détachement du 14e régiment de marine, commandé par le capitaine de vaisseau Coudein, qui y stationne[1] et inspecte les travaux réalisés. Puis il remonte sur La Saale dans l’intention de regagner Rochefort. C’est là qu’il est rejoint par le préfet maritime Bonnefoux, porteur d’une dépêche de la Commission de gouvernement lui enjoignant une fois Napoléon embarqué sur une frégate, de ne plus lui permettre de remettre le pied sur le sol français. Le piège tendu par Fouché s’est refermé.

 

Et on n’a aucune information sur les sauf-conduits demandés aux Anglais. Savary, accompagné de Las Cases qui comprend et parle  l’anglais, est envoyé se renseigner à bord du Bellerophon. Maitland leur confirme que ses ordres lui prescrivent de s’opposer au départ des frégates mais laisse entendre, à titre personnel, que si l’Empereur demander l’asile sur le sol britannique, il y serait à son avis accueilli avec beaucoup d’égards mais que cet avis n’engageait nullement le gouvernement britannique. Savary et Las Cases reviennent donc sur La Saale avec ces bonnes paroles. Celles-ci cheminent dans l’esprit de Napoléon et ravivent son projet de se retirer, au moins provisoirement en Angleterre. Il a été marqué par le comportement très correct des Anglais à son égard lors de son embarquement pour l’île d’Elbe et les imagine encore dans le même état d’esprit,  ne comprenant pas que son évasion, son usurpation qui l’a placé « hors du champ des relations civiques et sociales et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s’est livré à la vindicte publique » (déclaration de Vienne du 13 mars) avaient complètement changé la situation. Il n’est plus un chef d’Etat malchanceux, un ex-empereur,  mais un général putschiste en fuite, et c’est la raison pour laquelle les Anglais ne le désigneront plus que sous le nom de général Bonaparte. Côté français, Chateaubriand expliquera que les Cent-Jours avaient été un état de fait, et non un état de droit.

 

A l’île d’Aix

Encore une journée de tergiversation (faut-il forcer le passage ou non ?) et, le mercredi 11, il débarque de nouveau à l’île d’Aix, pour y réfléchir plus confortablement installé dans la maison du gouverneur. C’est là que son entourage relance les solutions Baudin, ou Besson, sans parvenir à le convaincre. Cinq jeunes officiers du 14e régiment de marine proposent un discret embarquement nocturne à bord de deux petits chasse-marées, pour gagner ou arraisonner un navire en pleine mer et partir aux Etats-Unis. Napoléon autorise la préparation des chasse-marées et encourage le projet Besson. Il fait ses adieux à Joseph, qui a préparé son propre embarquement à Bordeaux, et lui donne rendez-vous aux Etats-Unis. Mais, en fait, seul dans la petite chambre du premier étage de la maison du gouverneur, il a pris sa décision : il va demander d’être accueilli par la Grande-Bretagne et de résider dans un château à quelques dizaines de miles de Londres. Au pire, se dit-il, il sera interné quelques mois dans un château écossais. Cela vaut mieux que de tomber dans les mains des Prussiens ou des sbires du roi Louis XVIII  qui, le 8 juillet, a refait son entrée à Paris. Dans la nuit du 13 au 14, il rédige la fameuse lettre au Prince Régent, informe son entourage de sa décision, fait annuler tous les autres préparatifs et envoie Las Cases et Lallemand la porter à bord du Bellerophon :

« En butte aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grands puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique et je viens comme Thémistocle m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me  mets sous la protection de ses lois que je réclame de V.A.R. comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis». Il ne se rend pas compte de l’erreur qu’il fait en se comparant à Thémistocle alors que, pour ses adversaires, il est plutôt Pompée[2].

 

A la lecture du message, Maitland a du mal à masquer sa  satisfaction et promet tout ce que l’on veut. Las Cases, qui surprend quelques conversations entre officiers anglais, commence à être inquiet. Mais le sort en est jeté. Le 15 juillet avant le lever du jour, Napoléon embarque sur le brick L’Epervier (où le commandant Jourdan lui propose une dernière fois de profiter de la brume matinale pour prendre le large) et se rend sur le Bellerophon où il est reçu avec les honneurs militaires et se comporte comme chez lui. Tandis que l’amiral Hotham accourt avec le Superb pour donner plus d’éclat à la réception et continuer le leurre, le général Gourgaud est embarqué sur une corvette pour porter à Londres la lettre au prince régent. Napoléon effectue une visite de courtoisie sur le Superb, remercie l’amiral de son accueil avant de regagner le Bellerophon qui prend la route de la Grande-Bretagne.

 

Le moins que l’on puisse dire c’est que les Anglais ne se pressent pas (une semaine de navigation jusqu’en Angleterre), ce qui laisse aux Alliés le temps de se concerter sur la suite. Le  lundi 24 juillet enfin, le Bellerophon jette l’ancre devant Torbay. Arrive le général Gourgaud qui n’a pas été autorisé à débarquer et aller à Londres. La comtesse Bertrand, qui parle parfaitement anglais, surprend des conversations où il est question de Sainte-Hélène. De petits bateaux de plaisance s’agglutinent autour du navire car la rumeur que Boney se trouve à bord a vite circulé. L’angoisse des Français monte et Napoléon comprend enfin que le piège s’est refermé sur lui.

 

Puis le Bellerophon se rend devant Plymouth et, le 28 à midi, Lord Keith, amiral de la flotte de l’Atlantique, lui rend une visite de courtoisie et l’informe qu’il attend des directives du gouvernement britannique, en délibération avec ses Alliés. Encore deux jours sous la pluie. Enfin, le lundi 31 juillet, lord Keith et le sous-secrétaire d’Etat aux colonies Henry Bunbury montent à bord et lui communiquent officiellement la décision des Alliés de le déporter sur l’île de Sainte-Hélène sous la responsabilité du gouvernement anglais qui vient de retirer l’administration de l’île à la Compagnie des Indes et d’en prendre le contrôle. Les protestations véhémentes de Napoléon son accueillies avec un flegme tout britannique, de même que la lettre qu’il écrit.

 

Néanmoins Napoléon bénéficie de quelques soutiens britanniques, notamment dans le parti whig, et ceux-ci vont tenter un stratagème pour empêcher ou retarder son départ. Il s’agit de le citer comme témoin dans un procès en cours concernant le contre-amiral Cochrane[3] et de le faire bénéficier de l’habeas corpus qui interdit de soustraire un témoin à la justice. Encore faut-il que l’ordonnance d’assignation d’habeas corpus ad testificandum soit signifiée à l’amiral Keith ou à Napoléon lui-même. On assiste donc à une sorte de vaudeville où l’amiral évite de rencontrer l’huissier, allant jusqu’à débarquer par tribord quand celui-ci monte sur son bateau par bâbord. Et on renforce les mesures de sécurité autour du Bellerophon, maintenant ancré au large.

 

Il faut se résoudre au départ et choisir la liste des quelques officiers et la dizaine de domestiques autorisés à l’accompagner. Les Français connaissent maintenant l’ordonnance royale du 24 juillet dont l’article 1 fixe une liste de 19 généraux à arrêter et traduire devant des conseils de guerre pour s’être ralliés à Napoléon avant le 23 mars et avoir activement participé à la prise du pouvoir. Trois d’entre eux se trouvent à bord du Bellerophon : Lallemand pour sa participation à la Conspiration du Nord dès le 5 mars, Bertrand, chef d’Etat-major dés le débarquement à Golfe Juan et Savary  ajouté sur la liste par son ami Fouché ! Le gouvernement français exclut Lallemand et Savary de la possibilité d’accompagner Napoléon en exil mais admet un passe-droit pour Bertrand. Sont donc choisis Bertrand, grand maréchal du palais, Montholon, aide de camp, Planat de la Faye, officier d’ordonnance, et Las Cases au titre de secrétaire bilingue. Gourgaud pousse alors des cris d’orfraie, soulignant qu’il avait été l’unique premier officier d’ordonnance de l’Empereur. Napoléon, sans se douter des ennuis qu’il va ainsi s’attirer ou bien qu’il sans doute en raison du mauvais caractère de l’intéressé, remplace Planat par Gourgaud. Ainsi s’est établie la liste des futurs évangélistes. Le médecin désigné par Corvisart pour l’accompagner aux Etats-Unis s’étant retiré à l’annonce de la destination finale, Napoléon demande à être accompagné du médecin irlandais O’Meara dont il a apprécié la conversation à bord du Bellerophon.

 

Le choix des domestiques fut plus simple. Je n’ai pas le temps de le détailler ici, juste de donner quelques noms car ils sont entrés dans l’histoire napoléonienne : Marchand, Saint-Denis dit Ali, Noverraz, les frères Archambault, Cipriani bien sûr, Pierron, moins connu mais qui mériterait de l’être.

 

Le lundi 7 août, après une ultime visite de lord Keith, tout ce monde est transféré en haute mer à bord du Northumberland, sous le commandement de l’amiral Cockburn, de retour des Etats-Unis où il a brûlé le Capitole de Washington. Un mois s’est écoulé depuis le départ de Napoléon de Rochefort et il va encore s’en écouler plus de deux, en mer, jusqu’à son arrivée à Sainte-Hélène.

 

Il faut passer le temps, car Napoléon ne change pas ses habitudes et passe peu de temps à table. Il joue au vingt-et-un avec les officiers anglais en août et aux  échecs avec Bertrand et Montholon en septembre. Il  commence à apprendre des rudiments d’anglais avec Las Cases, conçoit le plan des Mémoires qu’il va dicter à ses compagnons, rumine les raisons de son échec mais n’abandonne pas l’espoir de s’en sortir encore une fois, se confie longuement à Las Cases qui prend des notes (n’est-il pas venu pour cela ?). Dans ses conversations avec les officiers anglais, il dément les rumeurs au sujet de certaines de ses décisions, comme l’empoisonnement des malades de Jaffa, et en justifie d’autres, comme son départ d’Egypte ou l’exécution du duc d’Enghien ; il attribue son échec russe à la précocité de l’hiver.

 

Le 15 août, il fête avec quelque entrain son 46e anniversaire et gagne au jeu. Le 23, rapide escale à Madère sans quitter le bord. Le 1er septembre, au large des îles du Cap-Vert. Le 12, il observe la capture d’un requin. Le 23, passage de la Ligne.  Tout le monde commence à en avoir marre ! Le 14 octobre, Sainte-Hélène en vue et arrivée le 15 devant Jamestown.

 

Bien sûr, Cockburn, gouverneur provisoire, réserve Plantation House, la plus agréable résidence de l’île, à son usage personnel et sélectionne pour ses invités la maison de campagne de Longwood, facile à garder, et où quelques d’agrandissement et d’aménagement sont seulement nécessaires. Napoléon débarque le 17 octobre, va le lendemain reconnaître Longwood, heureux de monter à cheval après trois mois en mer et, en attendant la fin des travaux, s’installe dans le petit pavillon des Briars, où il va passer sept semaines au voisinage de la famille Balcombe, certainement les plus agréables de sa captivité, s’amusant des saillies de la jeune Betsy (qui, de ce fait, va entrer dans l’histoire en contant ses souvenirs de ce charmant épisode).

 

Le 10 décembre enfin, c’est l’installation à Longwood House. Il va y demeurer cinq ans et cinq mois, exactement la même durée qu’à Brienne. A Brienne, il a formé son esprit ; à Longwood, il va forger sa légende. En fait, ces cinq années vont comprendre plusieurs phases :

. Durant l’année 1816, Napoléon se consacre essentiellement à dicter ses mémoires à ses compagnons et notamment au comte de Las Cases qui rassemble les éléments de son futur Mémorial. L’arrivée du nouveau gouverneur Hudson Lowe en mai se traduit pas une modification des relations avec les autorités anglaises et à une situation d’affrontement dont Napoléon ne sort pas vainqueur : Las Cases et quatre domestiques sont expulsés de Sainte-Hélène.

 

L’année 1817 voit un climat de jalousies se développer entre les compagnons, notamment entre Montholon et Gourgaud alors que Bertrand essaie de se tenir au-dessus de la mêlée, tandis que Napoléon entretient une liaison avec la comtesse de Montholon.

L’année 1818 commence mal : le général Gourgaud, brouillé avec tout le monde, s’en va en crachant dans la soupe. Le maître d’hôtel Cipriani meurt dans des circonstances suspectes. Le docteur O’Meara est expulsé tandis que la santé de Napoléon commence à se dégrader.

Début 1819, l’état de santé de Napoléon devient critique, alors qu’il n’a pas de médecin. Il perd  tout espoir de retour en Europe après le Congrès d’Aix-la-Chapelle. Albine de Montholon rentre en Europe au mois de juillet. En septembre, arrivent le docteur Antommarchi, les aumôniers Buonavita et Vignali, deux nouveaux domestiques.

 

Au premier semestre 1820, Napoléon décide de suivre les conseils d’Antommarchi et d’avoir une activité physique. Il se livre à des travaux de jardinage et sa santé semble s’améliorer. Mais elle se dégrade de nouveau au quatrième trimestre.

 

En janvier 1821, ses compagnons désespèrent de le voir survivre si bien que Bertrand renonce à son projet de ramener son épouse en Angleterre. L’abbé Buonavita est envoyé en Italie pour tenter de faire intervenir le Pape mais il arrivera trop tard. A mi-avril, Napoléon fait son testament et décède le 5 mai. Il est inhumé sur place et ses compagnons rentrent en France. Leurs récits donneront naissance à la Légende de Sainte-Hélène.

 

L’empoisonnement et la substitution

Le Mémorial de Sainte-Hélène, publié par las Cases en 1823, marquera le départ de la Légende napoléonienne, developpée par les écrivains du romantisme : Victor Hugo, Lamartine, Stendhal, Musset, et aussi Hegel ou Goethe, et toujours vivante.

 

Depuis les années 1960, deux rumeurs concernant l’exil de Sainte-Hélène ont reçu une grande audience médiatique. EN 1821, les Français ont eu du mal à admettre que les Anglais n’étaient pas directement responsables de la mort de Napoléon et est très tôt née la rumeur d’un empoisonnement volontaire, bien qu’il n’en existe aucun début de preuve dans tous les témoignages rapportés par ses compagnons. Bien au contraire ! La rumeur est revenue au premier plan avec la découverte, grâce aux tests nucléaires, de traces d’arsenic dans des cheveux attribués à Napoléon. Il existe de multiples origines possibles de cet arsenic, produit alors très répandu dans la nature, mais de nombreuses hypothèses, plus ou moins farfelues, ont été émises et ont donné lieu à de vifs débats. Aujourd’hui, les experts en la matière concluent que Napoléon était atteint sans doute depuis longtemps d’un ulcère d e l’estomac évolutif, peut-être aggravé par une intoxication accidentelle à l‘arsenic et surtout par le stress de la captivité. Il est possible que cet ulcère ait évolué en cancer, mais la cause directe du décès serait une anémie ferriprive, consécutive à l’hémorragie interne due à l’ulcère. Il est décédé, épuisé et exsangue.

 

L’affaire  de la substitution est née en 1969, lancée par un journaliste-écrivain nommé Georges Rétif de la Bretonne. Partant des contradictions portant sur des détails entre les  récits des témoins  de l’inhumation en 1821 et ceux, en partie les mêmes, de l’exhumation en 1840, il affirma que les Anglais avaient substitué dans la tombe de Sainte-Hélène le corps de son maître d’hôtel Cipriani, décédé en 1818, à celui de Napoléon. Et que c’est donc Cipriani qui repose aux Invalides ! La plupart des différences citées s’expliquent aisément et ne reposent que sur les affirmations hasardeuses ou tendancieuses. Mais il est évident que telles déclarations, bien présentées, peuvent séduire un large public et marquer les esprits.

 

C’est pour couper court à toutes ces rumeurs que Thierry Lentz et moi-même avons publié en 2009 l’ouvrage La mort de Napoléon, mythes, légendes et mystères, aujourd’hui disponible en collection de poche Tempus. Depuis, les journalistes se sont calmés sur le sujet, bien  qu’on peut toujours craindre une rechute, en période de marronniers.

 

Le général Gourgaud

Puisque nous sommes à l’île d’Aix, il nous fait dire quelques mots du général Gourgaud, dont le nom est ici omniprésent, non pas tellement en raison de lui-même mais plutôt de son arrière-petit-fils. Gaspard Gourgaud, né à Versailles en 1783, appartenait à une famille d’artistes : son père était musicien de la chambre du Roi et il était le neveu du comédien Dugazon, l’équivalent de Talma dans le domaine comique. Lui-même entre à l’Ecole Polytechnique et en sort officier d’artillerie. Mais durant toute sa carrière il fera preuve d’un esprit fantasque  et d’un caractère emporté qui lui joueront des mauvais tours. Mais peut-être pour ces raisons il est apprécié de Napoléon qui le choisit pour officier d’ordonnance, puis le nomme premier officier d’ordonnance (il sera le seul à porter ce titre). Il est chargé de missions qui lui permettent d’informer directement l’Empereur de ce qui se passe sur le terrain. Ses interventions le conduisent à sauver deux fois la vie de Napoléon : à Moscou en évitant l’explosion du Kremlin et à Brienne en janvier 1814 en abattant à bout portant le cosaque qui allait le transpercer de  sa lance.

Colonel, Il refuse de suivre Napoléon à l’île d’Elbe, sert dans l’artillerie royale car protégé du duc de Berry mais reprend son poste près de Napoléon lors des Cent-Jours. Il est promu général le 16 juin 1815 après la bataille de Ligny. Inquiet sur son sort, il insiste pour accompagner Napoléon à Sainte-Hélène mais va bientôt le regretter car, célibataire, isolé et peu considéré par ses collègues, il entre en conflit avec eux, notamment avec le général Montholon qu’il veut provoquer en duel. Excédé par son comportement, Napoléon l’encourage à partir en mars 1818. Il quitte Sainte-Hélène dans des conditions controversées.

 

Mais une fois revenu en Europe, il retrouve toute sa ferveur napoléonienne et la manifeste sans retenue. En 1830, il devient aide de camp de Louis-Philippe et milite activement pour le rapatriement du corps de Napoléon auquel il participera en 1840. Il est décédé en 1852, peu de temps après le 2 Décembre de Louis-Napoléon Bonaparte.

 

Le général Gourgaud n’a eu qu’un fils et c’est le petit-fils de celui-ci, Napoléon Gourgaud né en 1881, qui va de nouveau rendre célèbre le nom de Gourgaud. Il collectionne les souvenirs de l’épopée impériale et se lance à la découverte des grands espaces de l’Afrique de l’Est où il effectue des expéditions de chasse. Avec son épouse, la riche Américaine Eva Gebhard, il s’intéresse aux peintres du début du XXe siècle et collectionne leurs œuvres.

 

Quand en 1926 l’Etat met en vente la plupart de ses propriétés et des fortifications de l’île d’Aix, Napoléon Gourgaud s’en porte acquéreur. Dans l’ancienne maison du gouverneur il crée un Musée Napoléon et, en face, dans les maisons de pêcheurs, un Musée Africain. Atteint de la maladie de Parkinson, Napoléon Gourgaud décède en 1944, après avoir légué les deux musées à l’Etat et, pour maintenir la population locale et éviter la spéculation immobilière, il lègue ses autres biens sur l’île, dont l’hôtel Napoléon et de nombreuses maisons du village, à une Société des Amis de l’île d’Aix dont il a confié la présidence à son ami le baron Coudein, descendant du commandant du 14e régiment de marine qui avait accueilli Napoléon sur l’île en juillet 1815. A sa mort en 1956, Eva Gebhard-Gourgaud a légué sa collection de tableaux au Musées nationaux. Ils sont aujourd’hui exposés et conservés au Musée d’Orsay et au Centre Pompidou. Les habitants de l’île d’Aix et la Société des Amis sont très reconnaissants et rendent un fervent hommage au baron et à la baronne Gourgaud qui, dans le souvenir du dernier séjour de Napoléon sur le sol de France, ont permis que ce territoire ait si peu changé en deux siècles, ce qui en fait tout le charme pour ses visiteurs.

 

 

© Jacques Macé

 

 

[1] Les troupes de marine comportaient des unités nommées Equipages de haut-bord et Equipages de flottille. Par décret du 26 avril 1815, 40 équipages de haut-bord furent transformés en 20 régiments de marine, numérotés de 1 à  20.

[2] Vaincu par César à Pharsale, Pompée se réfugia en Egypte, se mettant sous la protection de Ptolémée XIII qui le fit décapiter.

[3] Poursuivi pour son manque de combativité aux Antilles face à l’amiral Willaumez.

 

 

 

 

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