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Les Oubliés de la République

 

Il est toujours plus facile de commencer une guerre que de la terminer. Si dès septembre 1959, à travers son discours sur l’autodétermination du peuple algérien, le général de Gaulle « comprit » l’inéluctabilité de l’indépendance de l’Algérie, il fallut encore plus de deux ans pour parvenir à la signature des Accords d’Evian. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes Algériens, qui avaient répondu à la conscription, servaient alors dans l’armée française et ils constituèrent le noyau de la Force d’Ordre, dite Force locale, devant assurer le maintien de l’ordre sous les ordres de l’Exécutif provisoire, entre le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et le vote d’autodétermination du 1er juillet 1962 dont le résultat ne faisait guère de doute. Faute de cadres algériens compétents en nombre suffisant (même après 130 ans de colonisation), des militaires français, engagés et environ 2 000 appelés du contingent, furent affectés à ces unités de Force locale.

 

Cent quatorze de ces unités furent constituées à partir de compagnies de l’armée française ; elles devaient conserver un lien organique avec les régiments dont elles étaient issues. Dans l’exemple que j’ai vécu, celui de la 403e UFL rattachée au 3e Bataillon de Zouaves, les choses se passèrent le plus correctement possible compte-tenu des difficultés présentées par une telle situation et, semble-t-il, il en fut de même pour nombre  des UFL du Constantinois. Le lien organique avec le 3e B.Z. ne fut jamais coupé, une section de la Légion étrangère fut placée en protection de l’UFL et, conformément aux ordres reçus, les appelés français furent retirés la veille du scrutin d’autodétermination. La transmission de pouvoir avec l’ALN se passa sans drame.

 

Les témoignages recueillis, notamment sur les sites créés par d’anciens appelés de la Force locale, semblent montrer qu’il n’en fut pas de même dans l’Algérois et l’Oranais où, il est vrai, la situation militaire s’était présentée d’une manière différente durant les sept années de guerre. Tout d’abord, les officiers ne prirent pas soin d’expliquer aux jeunes métropolitains qu’ils versèrent dans ces unités les enjeux nés de la conclusion du cessez-le-feu. Faute d’information, ceux-ci ne faisaient guère de différence entre les soldats des UFL, issus de l’armée française, et ceux de l’armée de libération nationale qu’ils avaient combattu pendant des mois en les considérant comme des terroristes.

Nombre de ces officiers eux-mêmes qui, s’ils ne rejoignaient pas l’OAS, en étaient néanmoins proches psychologiquement, n’avaient pas compris la nécessité de mettre fin à cette guerre et encore moins les modalités et la finalité de Accords d’Evian. Ils ne déployèrent donc aucun zèle pour promouvoir l’action de la Force locale d’autant que, dans cette situation de transition politique, une propagande très active en faveur du mouvement indépendantiste se propagea jusqu’au sein des unités de Force locale[1].

 

Mais le pire était encore à venir. Les derniers jours de juin, certains chefs de corps se désintéressèrent complètement du sort des appelés qu’ils avaient affectés dans des UFL et n’organisèrent pas leur rapatriement vers les unités de l’armée française. Selon les témoignages rassemblés sur le site internet d’Yvon Priou, certains de ces militaires furent séquestrés par des foules en délire, molestés par des « résistants de la dernière heure »[2]. Surtout certains, dont le nombre est difficile à préciser, furent enlevés et disparurent à jamais.

Nous connaissons particulièrement le cas des soldats appelés Albert MOREAU  (d'Aigurande dans l'Indre) et Jean-Claude ROUSSEAU (de St Martin la Rivière dans la Vienne), du 3e bataillon du 6e  R. I. dont une compagnie était devenue la 470e UFL. Laissés  à Reibell dans le sud algérien avec un sous-lieutenant et une vingtaine de soldats tous  FSNA, ils refusèrent de remettre leurs armes au FLN et furent massacrés le 1er juillet 1962 au soir. La recherche de leur sort ne commença qu'une semaine plus tard et leurs corps ne furent pas retrouvés. Il y  eut peut-être d'autres cas qui restent à identifier.

Non sans réticence, l’autorité militaire accepta de considérer ces victimes comme « Morts pour la France », des morts comme les 28 000 autres de la Guerre d’Algérie. Le dénombrement de ces cas est difficile car il fut décidé de traiter l’appartenance à la Force locale comme un simple détachement et de ne pas la faire figurer sur les états signalétiques de services et les livrets militaires.  Ainsi, aujourd’hui, il est impossible de prouver avoir servi dans les UFL sans une longue vérification dans les archives régimentaires.

Bien que, depuis un demi-siècle, des centaines d'ouvrages aient été publiés sur la Guerre d'Algérie ( certains universitaires s'en étant fait une spécialité), l'histoire de la Force locale reste encore à étudier et à écrire. Les archives, quand elles existent, sont très lacunaires ou mettent en évidence des points de vue fort contradictoires, encore très présents dans la société française. En juillet 1962 une multiplicité  de situations, allant de la transition planifiée à la tragédie,  se sont donc produites parmi les 114 UFL. Un travail de fond sur ce sujet reste à réaliser, thème de recherche pour de futurs et objectifs historiens ( étrangers notamment à la polémique sur la date de fin de cette guerre, qui vient troubler les réflexions sur ces évènements !).

 

© Jacques Macé, ex-sergent à la 403e UFL

    Février 2017

Nota :

Début juin 1962, on battit le rappel des lieutenants et capitaines français d'origine algérienne pour les affecterr au commandement des UFL avant l'autodétermination, en remplacement des officiers "métropolitains". L'opération, au succès mitigé, n'était pas terminée fin juin. Lorsque les dossierss individuels de ces officiers seront librement accessibles, il sera intéressant d'étudier la diversité des destins qu'ils ont dû connaître en juillet 1962 . On sait seulement que quelqu'uns ont pu poursuivre une carrière, parfois brillante, dans l'Armée française.

 

 

Notes

[1] On ne peut que penser au grand élan populaire qui accompagna Napoléon 1er de Grenoble à Paris en mars 1815 lors de son retour de l’île d’Elbe

[2] Comme nous l’avons connu en France en août 1944.

 

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