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L'Essonne napoléonienne

 

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On cherchera vainement le nom de l’Essonne dans la liste des cent trente-quatre départements qui, de Hambourg à Rome, constituaient, en 1813, l’Empire français. Néanmoins, deux hauts lieux du pouvoir napoléonien, le château de Fontainebleau à l’est et celui de Rambouillet à l’ouest, se trouvaient à proximité immédiate du territoire qui allait devenir département sous ce nom cent cinquante ans plus tard. En se rendant des Tuileries à Fontainebleau (et de là en Italie) ou de Saint-Cloud ou Malmaison à Rambouillet (et de là en Espagne), Napoléon 1er a traversé à maintes reprises ‘’notre département’’, s’arrêtant parfois dans des communes qui ont conservé le souvenir de ce passage. Puis la région de Juvisy et d’Essonnes a vécu le 30 mars 1814 et les jours suivants l’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire de l’Empire, suivi de l’abdication de l’Empereur et de ses Adieux de Fontainebleau.

 

Les acteurs de cette épopée, qu’ils aient été civils ou militaires, partisans ou opposants politiques, ont en grand nombre laissé leurs noms dans notre mémoire historique. Le territoire essonnien a vu naître certains d’entre eux et, surtout, les vallées de la Seine et de ses affluents – l’Orge, l’Essonne, la Juine –  les ont accueillis dans des châteaux et maisons de campagne où ils ont perpétué un mode de vie lancé dès le XVIIIe siècle par l’aristocratie et la haute bourgeoisie parisiennes. Après la chute de l’Empire, le mouvement s’est encore accéléré et nombreux furent les dignitaires du régime impérial et “illustres débris de la Grande Armée’’ - ralliés à la Restauration ou amnistiés - à venir y vivre paisiblement, avant pour certains de reprendre du service sous la Monarchie de Juillet.

 

En parcourant par des chemins de traverse le département de l’Essonne, nous pouvons rencontrer ces personnages dans les lieux qu’ils ont fréquentés ou aimés et revivre avec eux certaines des plus glorieuses pages de notre histoire.

 

La chute de l’Empire

Après avoir ramené en France la paix civile et religieuse, posé les fondements d’un Etat moderne, imposé son hégémonie en Europe, Napoléon se lance imprudemment en 1808 dans l’aventure espagnole, avant en 1812 de commettre l’erreur d’envahir la Russie. L’effroyable retraite de Russie est suivie l’année suivante du désastre de Leipzig qui amène, le 1er janvier 1814, les alliés russes, prussiens et autrichiens sur la rive du Rhin. Se refusant à abandonner ses conquêtes, Napoléon mène durant trois mois avec des moyens militaires désormais réduits une brillante campagne, dite la Campagne de France, divisant ses adversaires pour mieux les vaincre mais sans parvenir à les repousser. Le 29 mars, les Prussiens de Blücher et les Cosaques d’Alexandre 1er sont à Belleville et Ménilmontant, face aux troupes en retraite des maréchaux Mortier et Marmont, tandis que Napoléon est encore près de Troyes essayant de contenir les Autrichiens de Schwarzenberg. Il a laissé pour consigne à son frère Joseph, président du conseil de régence, de ne pas défendre la ville de Paris (alors non fortifiée) et, s’il le fallait, d’évacuer vers la Loire l’impératrice Marie-Louise et le Roi de Rome.

 

Par Sens, Moret et Fontainebleau, dans un cabriolet et suivi d’une escorte réduite, Napoléon arrive le 30 mars à dix heures du soir au relais de poste de Fromentin, dit aussi de la Cour de France, à Juvisy-sur-Orge (91260), aujourd’hui l’observatoire Camille Flammarion. Là, il apprend que son contrordre envoyé de Troyes n’a pas été reçu, que Joseph a évacué, dès le 29 mars, Marie-Louise et le Roi de Rome à Rambouillet, que le maréchal Marmont vient de signer un armistice et que les Alliés sont en train d’occuper pacifiquement Paris. L’Empereur entre dans une  terrible colère, accable son frère Joseph et Clarke son ministre de la Guerre, prononçant la phrase retenue par l’histoire : « J’eusse arrivé quatre heures plus tôt, tout était sauvé ! ». A trois heures du matin, il se résigne à faire demi-tour et à se rendre à Fontainebleau, envoyant son ministre des Relations extérieures Caulaincourt négocier avec le tsar Alexandre 1er à Paris.

 

Dès le 1er avril, Napoléon revient jusqu’à Essonnes (91100) où Marmont a replié son corps d’armée de 11 000 hommes puis regagne Fontainebleau où il apprend que les soixante-dix sénateurs réunis à Paris par Talleyrand ont prononcé le 2 avril sa déchéance. Les maréchaux qui l’ont rejoint à Fontainebleau - Ney, Lefebvre, Oudinot, Macdonald – lui conseillent d’abdiquer pour permettre une paix à laquelle la plupart d’entre eux aspire depuis plusieurs mois. Dans la soirée du 3, Napoléon se rend néanmoins jusqu’à Mennecy (91540) où sont rassemblées les troupes revenues de Troyes, tente de les mettre en ordre de bataille et ordonne au maréchal Mortier, replié de Paris avec son corps, d’y établir son quartier général (on y montre toujours le modeste « pavillon de l’Empereur » où il séjourna quelques heures). De retour à Fontainebleau, il se résout à rédiger, sous la pression des maréchaux bien décidés à en finir, une abdication conditionnelle qu’il charge Caulaincourt, Ney et Macdonald de porter à Paris. Mais il ne perd pas l’espoir de relancer l’offensive et de reprendre Paris.

 

La « trahison » de Marmont

Auguste-Fréderic-Louis Viesse de Marmont (1774-1852), né à Châtillon-sur-Seine et de petite noblesse bourguignonne, s’engage résolument dans la Révolution et devient aide de camp du général Bonaparte qu’il accompagne en Egypte. Il admire son chef et celui-ci l’apprécie infiniment pour son intelligence et sa prestance. Nommé en 1806 gouverneur de la Dalmatie et duc de Raguse (aujourd’hui Dubrovnik), élevé à la dignité de maréchal d’Empire en 1809 à 35 ans, Marmont est de 1809 à 1811 gouverneur général des Provinces Illyriennes, regroupement des territoires de la côte orientale de l’Adriatique annonçant la future Yougoslavie et dont l’existence sera encore plus éphémère. Marmont se révèle un excellent administrateur, développant et modernisant ces contrées encore primitives ; son souvenir est conservé avec ferveur dans l’actuelle Croatie. Il a épousé Hortense Perregaux - fille du banquier Perregaux, fondateur de la Banque de France -, laquelle a acheté le château de Viry à Viry-Châtillon (91170), démoli en 1950 et dont ne subsiste qu’un pavillon doté d’une chapelle.

 

On sait que, depuis la retraite de Russie à laquelle il a participé,  Marmont est un partisan d’une paix honorable dans une France ramenée dans ses frontières naturelles. Talleyrand et Schwarzenberg l’informent donc immédiatement de la décision du Sénat et, sans attendre que Napoléon se prononce, il s’engage à retirer son corps d’armée stationné à Essonnes et protégeant la route de Fontainebleau. Quand Ney, Caulaincourt et Macdonald, se rendant à Paris, le rencontrent à Viry, il comprend qu’il s’est engagé un peu vite et les accompagne. Pendant son absence, les officiers de son état-major (les a-t-il correctement informés ?) appliquent l’ordre précédent et déplacent leurs troupes en direction de Versailles. Fontainebleau n’est plus protégé d’une attaque des Alliés et le tsar profite de cette opportunité pour imposer l’abdication inconditionnelle de Napoléon, puis la décision de son exil à l’île d’Elbe. Bien que les responsabilités de l’affaire soient encore aujourd’hui disputées, la troupe et le petit peuple créèrent le verbe raguser et le mot ragusade en synonymes de trahir et trahison. Il a ensuite été immortalisé par Edmond Rostand dans L’Aiglon : « Il n’a plus manqué que vous ragusassiez ! », lance Flambeau à Marmont exilé en Autriche. Mais Marmont n’a-t-il pas sauvé Paris de la guerre civile et d’une destruction par les Cosaques au cas où Napoléon aurait relancé un combat désespéré ? N’a-t-il pas eu un comportement « à la von Choltitz » ?

 

Histoires de maréchaux

A Viry, Marmont avait pour voisin le maréchal Davout (1770-1823) qui acheta en 1802 le château de Savigny à Savigny-sur-Orge (91600) et le transforma en une élégante résidence. Louis-Nicolas d’Avout, né en 1770 près d’Auxerre, débute une carrière militaire dans l’armée royale mais se rallie avec fougue aux idées révolutionnaires. Il participe à la Campagne d’Egypte, commande la cavalerie en Italie et reçoit en 1804 la dignité de maréchal d’Empire. Excellent tacticien, homme ferme et autoritaire, Davout est le plus jeune des quatorze premiers maréchaux d’Empire promus en 1804, titré par la suite duc d’Auerstedt, puis prince d’Eckmühl. Il participe à la campagne de Russie. En août 1813, il se retranche avec son corps d’armée dans la forteresse d’Hambourg où il résiste jusqu’à la chute de l’Empire. Pourquoi en janvier 1814, pour défendre la frontière du Rhin, Napoléon n’a-t-il pas rapatrié les 100 000 hommes encore retranchés en Allemagne? Mystère de l’histoire . . . Davout ne revient à Paris qu’en juin 1814 et sera ministre de la Guerre durant les Cent-Jours, sans participer à la bataille de Waterloo où sa présence aurait pu être utile. Il se retire à Savigny où il décède dès le 1er juin 1823, mais sa veuve, née Louise-Aimée Leclerc et sœur du général Leclerc - époux de Pauline Bonaparte- décédé lors de l’expédition de Saint-Domingue, sera jusqu’en 1868 une châtelaine de Savigny cultivée et généreuse. Le château de Savigny est devenu le lycée Jean-Baptiste Corot, le maréchal s’étant fait battre par un peintre. Mais, lorsque le poste de proviseur est vacant, ils sont nombreux à se bousculer pour y être nommé et occuper « les appartements du maréchal ».

 

Un autre maréchal, Michel Ney (1769-1815), le Brave des braves, duc d’Elchingen et prince de la Moskova, fréquenta à plusieurs reprises le château de Villiers à Draveil (91210), maison de campagne de son beau-frère et de sa belle-sœur, Charles et Antoinette Gamot. Charles-Guillaume Gamot (1766-1820), rapatrié de Saint-Domingue, était devenu directeur des Droits réunis (nos Contributions indirectes) et avait épousé Antoinette Auguié, nièce de madame Campan, dont la sœur Eglé avait épousé Michel Ney. Eglé Ney, princesse de la Moskova, fut l’une des personnalités marquantes de la Cour des Tuileries. Quant à Charles Gamot, il conseillait le maréchal dans le placement de ses dotations. Le couple Gamot a été étroitement associé à la fin tragique du maréchal Ney. En effet, préfet de l’Yonne à Auxerre en mars 1815, Gamot présida à la rencontre de Napoléon, revenant de l’île d’Elbe, et de son beau-frère qui avait promis au roi Louis XVIII de « ramener l’Usurpateur à Paris dans une cage de fer ». La monarchie rétablie, Ney fut condamné à mort, exécuté le 7 décembre 1815 à Paris près du square de l’Observatoire (là où depuis 1853 se dresse sa statue) et Gamot, destitué, recueillit son corps. Que ce soit à l’Observatoire Camille Flammarion  de Juvisy ou à l’Hôtel de Ville de Draveil (château de Villiers), l’ombre de la chute de l’Empire plane sur notre bord de Seine.

 

Tout près de là, à Vigneux-sur-Seine (91270), nous aurions pu aussi rencontrer le maréchal Bernadotte (1763-1844), futur roi de Suède et de Norvège, très lié avec le général Sarrazin (1770-1848), propriétaire du château Frayé. Si Bernadotte est controversé dans les milieux napoléoniens en raison de son action au côté des adversaires de l’Empire en 1813-1814, le général Sarrazin a sans conteste trahi l’Empire en désertant le 10 juin 1810 et en passant au service de l’Angleterre. Réhabilité sous la Restauration, il sera condamné pour bigamie en 1819, abandonnera Vigneux et partira terminer sa vie à Bruxelles.

 

Le maréchal Alexandre Berthier (1753-1815), prince de Wagram, chef d’état-major de Napoléon, peut difficilement être évoqué ici puisque son château de Grosbois se trouve en Val-de-Marne (en limite de l’Essonne). On dira néanmoins que, après avoir participé à la Guerre d’Indépendance américaine, il se lie à Bonaparte dès la première campagne d’Italie et rencontre à Milan la marquise Giuseppa Visconti dont il tombe follement amoureux. Le marquis Visconti étant nommé ambassadeur de la République cisalpine à Paris, Giuseppa devient l’ornement de la Cour consulaire, puis impériale et Berthier rêve de l’épouser mais encore faut-il qu’elle puisse divorcer et Napoléon, sans doute jaloux, refuse obstinément d’autoriser ce divorce, si bien qu’en 1808 Berthier se laisse convaincre par l’Empereur d’épouser la princesse Elisabeth de Bavière. Trois mois plus tard, le marquis de Visconti décède, pour la plus grande consternation de Berthier[1] ! La marquise Visconti (1760-1840), La Visconti comme disait Napoléon, se fit construire à Verrières-le-Buisson (91370) une remarquable villa avec attique dans le plus pur style italien : elle porte aujourd’hui le nom de château d’Amblainvilliers.

 

Ministres et diplomates

Plus que les campagnes militaires, l’œuvre civile constitue l’apport le plus remarquable du Premier Empire à notre histoire et à nos institutions. Pourtant les noms des ministres et dignitaires civils de l’Empire sont beaucoup moins connus que ceux des maréchaux et généraux. Notre promenade nous fait rencontrer certains d’entre eux.

 

Nicolas-François Mollien (1758-1850), passionné d’économie, entre dès 1778 au Contrôle général des Finances. Proche des fermiers généraux, il échappe de peu à la guillotine sous la Terreur. Remarqué par le Premier Consul, il devient directeur de la Caisse d’amortissement et est nommé ministre du Trésor en 1806. Son rôle fut essentiel dans l’organisation des finances publiques ; il s’opposa aux mesures irréalistes envisagées par Napoléon à partir du moment où les affaires tournèrent mal pour l’Empire et resta fidèle à celui-ci jusqu’au bout. Un grand financier méconnu qui épousa en 1802 Adèle-Rosalie Collart-Dutilleul, filleule de Louis-César Dufresne de Saint-Léon, directeur général de la liquidation de la dette publique. Celle-ci avait reçu de son parrain le château de Jeurre à Morigny-Champigny (91150), près d’Etampes, au bord de la Juine, où le couple Mollien fit d’importants travaux d’agrandissement et d’aménagement et où ils vécurent jusqu’en 1850 (château toujours existant). Le comte Mollien est inhumé au cimetière de Morigny-Champigny.

 

Toujours au bord de la Juine, à Bouray, nous pouvons évoquer un étonnant personnage, ‘‘homme de haute politique et  de basses intrigues’’ qui traversa tous les régimes de la Révolution à la Monarchie de Juillet et  qui, avec Talleyrand et Fouché, prêta le plus de serments, Charles-Louis Huguet de Sémonville (1759-1839). La famille Huguet, marchands originaires de l’Orléanais, acquit au début du XVIIIe siècle le château de Frémigny à Bouray-sur-Juine (91850) et prit le nom d’Huguet de Montaran. Mais, en 1777, Charles-Louis, né en 1759, adopta le nom de Sémonville, autre terre de la famille. Sous ce nom, il sera successivement conseiller au Parlement de Paris, député aux Etats généraux, diplomate sous le Directoire et le Consulat, sénateur de l’Empire, grand référendaire de la Chambre des Pairs  sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. « Grand manipulateur de l’Histoire », Sémonville est inhumé avec sa famille dans l’enclos près de l’église de Bouray-sur-Juine. Le château de Frémigny est aujourd’hui le centre de formation de la compagnie d’assurances AXA. Sémonville avait épousé la veuve du marquis de Montholon et adopté ses quatre enfants, dont Charles-Tristan de Montholon-Sémonville (1783-1853), ambassadeur et général d’Empire qui accompagna Napoléon 1er à Sainte-Hélène et a été injustement soupçonné par des écrivains de la petite histoire d’avoir empoisonné l’Empereur. Charles de Montholon est également inhumé à Bouray[2].

 

Déplaçons-nous à Nainville-les-Roches (91750), au sud de Mennecy, pour rencontrer le général et ministre René Savary (1774-1833), souvent surnommé « l’âme damnée de Napoléon ». Militaire extrêmement actif et zélé, Savary est remarqué par Bonaparte en Egypte, puis à la bataille de Marengo. Il ne le quittera plus jusqu’à son embarquement pour Sainte-Hélène. Ne discutant jamais un ordre reçu et l’exécutant sans attendre (ce qui parfois peut être un défaut), Il aura une lourde responsabilité dans l’exécution de duc d’Enghien, créera la gendarmerie impériale, les réseaux d’espionnage et de contre-espionnage de l’Empire, deviendra duc de Rovigo et succédera à Fouché dans la fonction de ministre de la Police (en beaucoup moins subtil). Plus connu sous le nom de Rovigo, on le retrouve en 1831 en Algérie[3] où il inaugure les mesures de sévère répression des révoltes arabes. Avec son épouse Marie-Charlotte de Faudoas-Barbaran qui lui donna sept enfants, Savary acheta vers 1800 le domaine de Nainville dont il fit détruire et reconstruire le château. Il y vécut notamment pendant la Première Restauration, puis rejoignit Napoléon pour les Cent-Jours avant de s’exiler jusqu’en 1819 et de ne revenir à Nainville qu’en 1830. Son château a été reconstruit en 1922 en style Louis XIII et le domaine abrite aujourd’hui l’Ecole nationale de la Protection civile.

 

C’est à Vaugrigneuse (91640), près de Limours, que nous évoquerons Gabriel-Marie-Théodore Hédouville (1755-1825), général qui après avoir participé près de Hoche aux guerres de Vendée joua un rôle de réconciliateur puis fut, de 1800 à 1804, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, où il eut la délicate tâche ‘‘d’expliquer’’ l’exécution du duc d’Enghien. Chambellan de Jérôme Bonaparte (roi de Westphalie), sénateur de l’Empire, il vota le 2 avril 1814 la déchéance de l’Empereur et, l’année suivante, la condamnation à mort du maréchal Ney. A son retour de Russie, il avait acheté le manoir de La Fontaine aux Cossons à Vaugrigneuse et y vécut jusqu’en 1825 (il est décédé à Brétigny). L’actuel château de La Fontaine aux Cossons est une reconstruction du début du XXe siècle.

 

Rendons-nous maintenant à l’Hôtel de Ville de Palaiseau (91120), aussi appelé hôtel Tronchet, où vécut des années 1790 à sa mort en 1806 l’un des plus illustres juristes de son temps. L’avocat François Denis Tronchet (1726-1806) est bâtonnier de Paris en 1789, député aux Etats généraux et joue un rôle éminent dans le comité de constitution. Défenseur de Louis XVI avec Malesherbes et de Sèze, il tente d’obtenir un report de la sentence et doit se cacher à Palaiseau durant la Terreur. Dès 1800, Bonaparte le nomme à la commission chargée de préparer l’établissement du Code civil. Napoléon le désignera comme « l’âme des discussions »  ayant concouru à la rédaction du Code Napoléon et appellera « le citoyen Tronchet, premier jurisconsulte de France ». Sénateur, il se consacrera à la traduction de tragédies grecques. Il est inhumé au Panthéon.

 

Intéressons-nous maintenant à Antoine François Andréossy (1761-1828), l’un des plus éminents ambassadeurs de l’Empire, qui nous amène à Ris-Orangis. Languedocien, ancien élève du collège de Sorèze (Tarn), officier de l’artillerie royale, Andréossy adhère aux principes révolutionnaires, participe à la campagne d’Egypte et à la création de l’Institut d’Egypte. Il est ambassadeur à Londres pendant la courte période de paix entre la France et l’Angleterre (1802-1803), ambassadeur à Vienne après la victoire d’Austerlitz, gouverneur de Vienne après celle de Wagram en 1809 et ambassadeur à Constantinople à partir de 1812, dissuadant la Sublime Porte de rallier la coalition de 1813 contre la France. Ayant fait sa soumission à Louis XVIII, il se consacra ensuite à des recherches scientifiques et devint membre de l’Académie des Sciences.

 

Dès 1798, à son retour de la première campagne d’Italie, le général Bonaparte songe à acheter une maison de campagne à proximité de Paris et jette son dévolu sur le château de Ris à Ris-Orangis (91130), alors en vente. Mais il part très vite en Egypte et, pendant son absence, son épouse Joséphine visite le château de Malmaison qu’elle préfère de beaucoup et achète sans disposer du premier sou pour le payer, comptant sur le retour de son époux. Andréossy  avait-il entendu parler de Ris en Egypte ?  Toujours est-il qu’il se porta acquéreur du château en 1802 et y vécut jusqu’en 1828. Le chanteur Dranem, vedette du caf’conc’ à l’humour scabreux, acheta en 1911 le château de Ris dans le but d’en faire une maison d’accueil et de retraite pour vieux comédiens dans le besoin. Devenu le château Dranem, transformé, il est toujours une maison de retraite de type EHPAD mais la Fondation Dranem a cessé d’exister en 2000 par épuisement de ses moyens financiers, malgré, un temps, l’aide financière de Maurice Chevalier. Non loin se dresse le château d’Orangis (dit aujourd’hui château Gomel) qui eut entre autres propriétaires le comte Charles de Bombelles, second fils du célèbre marquis de Bombelles, qui émigra en Autriche et s’y établit. Nommé ministre autrichien à Parme, il y épousa en 1833 l’archiduchesse régnante Marie-Louise - ancienne impératrice des Français et veuve du comte Neipperg - qu’il accompagna jusqu’à sa mort. Dans L’Aiglon, Edmond Rostand, n’a pas manqué de mettre en scène ce Bombelles auprès du duc de Reichstadt !

 

Quelques Egyptiens

Elu à l’Institut, au titre de l’Académie des Sciences, en décembre 1797 à son retour de la 1ère campagne d’Italie, le général Bonaparte reçoit la mission d’aller en Egypte couper la route des Indes à l’Angleterre et décide d’adjoindre à sa campagne militaire une expédition scientifique afin d’aller à la découverte des mystères de l’Egypte ancienne, d’y diffuser l’esprit des Lumières et d’évaluer les ressources du pays. Cent soixante-sept savants et ingénieurs (dont Monge, Berthollet, Denon, Fourier, etc. et six élèves de l’Ecole Polytechnique) s’embarquèrent donc pour l’Egypte où ils constituèrent la Commission des sciences et des arts et fondèrent l’Institut d’Egypte. Une vingtaine d’entre eux  y perdit la vie.

 

En passant  à Palaiseau, nous aurions pu ainsi évoquer l’ingénieur-géographe Edme François Jomard (1777-1862), issu de la première promotion de l’Ecole polytechnique.  A son retour d’Egypte, il consacra vingt-cinq ans de sa vie à la publication de La Description de l’Egypte - l’ouvrage monumental présentant les travaux de l’expédition -, présidant la commission de rédaction. Fondateur de la Société de Géographie, il acheta en 1828 à Palaiseau une maison de campagne, dite le manoir de Lozère[4], où il se livra à des expérimentations botaniques. Sous le Second Empire, il aura la joie de voir la réalisation de l’un des rêves et deviendra président honoraire de la Compagnie universelle du canal de Suez. Le manoir de Lozère, loti, existe toujours et le chemin menant de la gare RER de Lozère à l’Ecole Polytechnique porte depuis 2012 le nom de Chemin Jomard.

 

Né à Etampes (91150), Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), d’abord démonstrateur et zoologue au Jardin des Plantes, participe avec Cuvier à la réorganisation du muséum d’Histoire naturelle en 1794 et devient un éminent naturaliste. C’est lui qui est volontaire pour l’expédition d’Egypte comme naturaliste tandis que Cuvier reste en France.  Il est membre de l’Institut d’Egypte, dont Andréossy est vice-président. A son retour, il enseigne au Muséum et est élu à l’Institut, publiant en 1809 un Catalogue des mammifères et en 1818 sa Philosophie anatomique. Il vécut à Paris jusqu’en 1844. Sa statue, en marbre blanc et grès, par Elias Robert, élève de David d’Angers, s’élève depuis 1857 sur la place du Théâtre d’Etampes. Il y est représenté en robe de professeur de faculté, appuyé sur une statue symbolisant l’Egypte alors que le lycée voisin porte son nom.

 

Quittons l’Institut d’Egypte pour retrouver les opérations militaires. Après avoir débarqué à Alexandrie et vaincu les Mameluks à la bataille des Pyramides, Bonaparte s’empare du Caire et entreprend la conquête de l’Egypte. Il échouera devant Saint-Jean d’Acre. Les mameluks sont en fait des esclaves slaves affranchis et constitués en un corps d’élite qui s’est emparé du pouvoir réel. Bonaparte recrute une compagnie de jeunes mameluks qu’il ramènera en France et ceux-ci contribueront avec leurs costumes chamarrés, leurs sabres courbes et leur férocité supposée à la réputation de l’armée impériale. Un jeune Arménien nommé Roustam Raza (1782-1845), né à Tiflis en Géorgie et enlevé comme esclave  par les Turcs, fut « offert » par le cheik El-Bakri au général Bonaparte qui, avec un second mameluk nommé Ali, l’affecta à son service personnel. Roustam suivit son maître en France, ne le quittant pas jour et nuit, vêtu d’un impressionnant uniforme de fantaisie. Il devint un personnage incontournable de la légende napoléonienne et figure sur la plupart des tableaux des grandes victoires de l’Empire. Entremetteur près de l’Empereur, il se constitua un joli petit pécule et on peut même dire que, devenu arrogant, son succès lui monta à la tête. A Fontainebleau, le 13 avril 1814 – craignant, dira-t-il, d’être mêlé à la tentative de suicide de Napoléon -, il prendra la fuite et, aux Cent-Jours,  Napoléon ne le rappellera pas. Il avait épousé Alexandrine Doudeville, fille du premier valet de chambre de l’Impératrice Joséphine, et en 1834 son épouse se verra attribuer un emploi à la poste de Dourdan (91410). C’est ainsi que le mameluk de l’Empereur, après s’être exhibé jusqu’en Angleterre dans  son beau costume, va terminer sa vie en 1845 dans un appartement au 1er étage d’une maison de Dourdan (aujourd’hui école Georges-Leplâtre, rue Jubé de la Pérelle). Les Anciens Combattants arméniens de France, considérant Roustam Raza comme le premier Arménien ayant combattu au service de la France, et aussi comme un symbole d’opposition à l’hégémonie ottomane, viennent régulièrement s’incliner sur sa tombe au cimetière de Dourdan.

 

Ce cimetière abrite aussi la tombe d’Auguste Jubé, baron de La Pérelle (1765-1824), chef d’état-major de Hoche, puis de la garde consulaire, membre du tribunat, ensuite préfet de la Doire (département dans la plaine du Pô), puis du Gers, et enfin historiographe au ministère de la guerre sous la Restauration. Il possédait le château de Bonchamp, au hameau de Rouillon, près de Dourdan.

 

Dourdan se souvient également de la visite de Napoléon le 24 août 1806. Revenu à Paris le 27 janvier 1806 après sa victoire d’Austerlitz, Napoléon passe huit mois sans quitte la région parisienne (ce qui est rare !), en y déployant une intense activité. Durant cette période, il partage son temps entre le château de Saint-Cloud et celui de Rambouillet où il fait de nombreux courts séjours, généralement en fin de semaine. Le vendredi 22 août à 8 heures du matin, venant de Saint-Cloud, il fait une halte à Dourdan car on lui a signalé l’état désastreux de l’église Saint-Germain. De Rambouillet, il y revient le dimanche 24 accompagné de l’Impératrice Joséphine et visite le château ainsi que l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Cette visite met la municipalité en émoi et l’Empereur fera un don de six mille francs, notamment, pour la reconstruction des flèches du sanctuaire, démolies en 1794 sur l’ordre de la Convention.

 

Sur le chemin du retour vers Rambouillet, Napoléon et Joséphine s’arrêtèrent dans le petit village de Plessis, pour s’y rafraichir et peut-être aussi pour rassurer la population parce qu’un loup semait la terreur dans les bois environnants. Il n’en fallut pas plus pour faire naître la légende de l’Empereur et l’Impératrice chassant le loup dans les bois de Plessis  et de Napoléon demandant à une brave habitante du village d’assurer son déjeuner[5]. Les anecdotes de ce genre sont nombreuses et font tout le charme de la Légende napoléonienne

 

Enfin le château de Villeconin (91580) expose le buste de Benoît-François-Fortuné de Pluvié de Guibert, lieutenant aide de camp du général Bonaparte, tué le 25 juillet 1799 à la bataille d’Aboukir. Il était le neveu du général Hyppolite de Guibert (1743-1790), auteur en 1770 d’un Essai général de tactique militaire, longuement étudié par l’élève-officier Napoléon Bonaparte à l’Ecole militaire de Paris et qu’il mit en application par la suite. Le buste provient du château de Chenonceau, propriété à partir de 1799 et jusqu’en 1863 de René-François Vallet de Villeneuve et de son épouse Apolline de Guibert. Le propriétaire actuel du château de Villeconin est apparenté à la famille de Villeneuve-Guibert. A noter que René Vallet de Villeneuve, aristocrate rallié à l’Empire, fut chambellan de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et comte d’Empire.

 

Des proches de l’Empereur

Napoléon disait : « Je ne crois pas en la médecine, mais je crois en Corvisart ». Jean-Nicolas Corvisart (1755-1821) fut pendant dix ans le médecin de Napoléon 1er et son plus intime confident. Professeur à l’hôpital de la Charité[6], puis au Collège de France, il est considéré comme l’un des pères de la médecine moderne, privilégiant l’étude et l’analyse systématique des symptômes à la description de la maladie. En 1801, il est appelé à donner ses soins au Premier Consul qui, depuis de son adolescence, souffre de divers troubles et il lui rétablit une santé permettant de supporter un rythme de vie plus qu’éprouvant. Couvert d’honneurs, Corvisart fut dès lors le médecin officiel de la Cour et de la famille impériale. Reçu aux Tuileries deux fois par semaine quand l’Empereur était à Paris, il partageait avec celui-ci tous les problèmes du moment ; il l’accompagna en Autriche en 1805 (Austerlitz) et 1809 (Wagram) mais ne participa pas à la campagne de Russie ni aux suivantes. Il menait un train de vie fastueux entre son hôtel de la rue Saint-Dominique, sa maison de campagne de La Garenne (La Garenne-Colombes) et était propriétaire de la ferme du château d’Athis, sur la route de Fontainebleau. Frappé d’apoplexie dès 1816, il vécut retiré jusqu’à son décès à Colombes, quatre mois après celui de Napoléon à Sainte-Hélène. Il fut inhumé sur la ferme d’Athis et, lors de la vente de celle-ci par ses héritiers en 1828, sa sépulture fut transférée au cimetière d’Athis-Mons (91200) où il repose près de son petit-neveu Lucien Corvisart, médecin de l’Empereur Napoléon III.

 

Il nous faut aller à Gif-sur-Yvette (91190) pour retrouver un autre proche de Napoléon 1er, Claude-François de Méneval (1778-1850), son secrétaire intime. Méneval est d’abord secrétaire de Joseph Bonaparte qu’il assiste lors de la négociation de la paix d’Amiens (avec l’Angleterre) en 1802. Joseph le recommande à son frère qui est à la recherche d’un secrétaire du portefeuille. Ménéval devient ainsi le chef du secrétariat du premier Consul puis de l’Empereur et un confident d’une probité, d’une discrétion, d’une douceur de caractère et d’un courage absolus qui ont marqué l’histoire. La très grande majorité des quelque 40 000 lettres signées Napoléon a été écrite par Méneval sous la dictée. Nommé baron, il accompagne l’Empereur dans tous ses déplacements et campagnes jusqu’en 1812 et revient complètement épuisé de la Campagne de Russie. Napoléon le nomme alors secrétaire des commandements de l’impératrice Marie-Louise, une sinécure dira-t-il. Après l’Empire, il se consacra à l’écriture de forts intéressants Mémoires et acheta en 1827 la propriété de l’Ermitage à Gif, entre les rivières l’Yvette et la Mérantaise, où il fit construire un petit château carré à deux étages qui est aujourd’hui la mairie de Gif-sur-Yvette, commune dont il fut conseiller municipal de 1831 à 1848. La petite histoire a retenu que le Président de la Seconde République venait pêcher à la ligne dans l’Yvette, chez l’ancien secrétaire de son oncle.

 

Au baron de Ménéval succède dans le poste de secrétaire intime, en 1813 et 1814 puis durant les Cent-Jours, Agathon-Jean-François Fain (1778-1836), secrétaire-archiviste au cabinet de l’Empereur depuis 1806. Son dévouement ne fut pas inférieur à celui de Méneval et il a lui aussi laissé de précieux Mémoires sur la fin de l’Empire, vécue par lui jour après jour. Il acheta le château La Fontaine à Brétigny-sur-Orge (91220) et fut maire de la commune de 1819  à 1825. Ce château a été entièrement détruit et la construction actuelle date du début du XXe siècle. Au début de la Monarchie de Juillet, on retrouve le baron Fain au château de la Cossonnerie à Sainte-Geneviève-des-Bois (91700), appartenant à sa famille. Cette propriété a été transformée en 1927 en une maison de repos et de retraite pour les exilés de la diaspora russe, dite la Maison Russe. Cet établissement existe toujours dans un bâtiment construit en 1995 alors que le château est devenu un centre culturel russe. Les décès de pensionnaires de la Cossonnerie sont à l’origine de la création du cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.

 

Formé dans les écoles du Roi, Napoléon Bonaparte était resté sensible au prestige de l‘ancienne noblesse et recherchait la fusion de celle-ci avec la noblesse d’Empire. Nombre d’aristocrates ralliés à l’Empire furent promus chambellans ou ambassadeurs. Le château de Courson, à Courson-Monteloup (91680) près de Limours, offre un remarquable exemple de cette politique. En 1775, ce château passe de la famille des Lamoignon à un certain Duplex de Bacquencourt qui est guillotiné sous la Terreur. La fille de celui-ci épouse le comte Pierre-Elisabeth de Montesquiou-Fézensac (1764-1834). N’ayant pas émigré, il se montre discret, traverse sans encombre la période révolutionnaire, accueille sans état d’âme le nouveau régime et est invité au Sacre de Napoléon. Il sera membre du Corps législatif, président de la commission des finances, grand chambellan de l’Empire en remplacement de Talleyrand en 1810. Son épouse, descendante de Louvois, douce et sensible, sera choisie en 1811 pour être gouvernante du Roi de Rome. L’instinct maternel de l’Impératrice Marie-Louise n’étant pas particulièrement développé, l’enfant s’attacha à celle qui l’éleva et qu’il appelait Maman Quiou. En 1814, Madame de Montesquiou accompagna le Roi de Rome jusqu’à Vienne. Elle en fut expulsée en avril 1815 lors du retour de l’île d’Elbe et cette séparation sera très douloureusement ressentie par l’enfant de quatre ans.

 

Anne Rose Zoé de Montesquiou-Fézensac, fille du comte et de la comtesse de Montesquiou, se vit attribuer le château de Courson et épousa le général Jean Toussaint Arrighi de Casanova, duc de Padoue (1778-1853).  La mère de Jean Toussaint Arrighi, née Casanova (d’où le double nom), était une cousine germaine de Laetitia Bonaparte, la mère de Napoléon. Les deux familles étaient très proches et Jean Toussaint naquit à Corte dans la maison où était né Joseph Bonaparte, le frère aîné de Napoléon. Comme son cousin Napoléon, Jean Toussaint Arrighi entreprend une carrière militaire et participe à la campagne d’Italie, à l’expédition d’Egypte (grièvement blessé au siège de Saint-Jean d’Acre), aux campagnes du Consulat et de l’Empire, sauf celle de Russie durant laquelle, commandant des côtes de l’Océan, il est chargé de surveiller le comportement de la Grande-Bretagne. Il est général à 29 ans et nommé duc de Padoue en 1808. C’est lui qui en 1820 fit appel au paysagiste Berthaut pour transformer et aménager le parc de Courson (où se déroulent chaque année deux superbes Fêtes des Plantes). Son fils Ernest, deuxième duc de Padoue, sénateur et ministre sous le Second Empire, fit  transformer le vestibule du château en un remarquable salon d’apparat rouge et or. Elu de Corse, il siégea parmi les députés bonapartistes jusqu’en 1881. Il n’eut pas d’héritier masculin et sa fille unique Marie Adèle Henriette épousa Georges Ernest Maurice de Riquet, duc de Caraman. Le château de Courson est toujours entre les mains de leurs descendants.

 

En Essonne nous pouvons non seulement rencontrer un cousin de l’Empereur, mais aussi l’un de ses quatre frères, Jérôme Bonaparte (1784-1860). Par esprit clanique, Napoléon attribua des poste et titres prestigieux aux membres de sa famille. L’aîné Joseph, collectionneur et dilettante fut roi de Naples et (pour son malheur) roi d’Espagne. Lucien, politique qui joua un rôle majeur lors du 19 Brumaire, se brouilla avec  son frère, s’exila en Italie, puis en Angleterre et ne réapparut en France que pour les Cent Jours. Louis, le frère préféré, de santé fragile, époux d‘Hortense de Beauharnais, la fille de l’Impératrice Joséphine, fut de 1806 à 1810 roi de Hollande avant de s’éloigner de son frère. Son fils Louis-Napoléon deviendra l’Empereur Napoléon III. Le dernier, Jérôme, d’abord officier de marine, donna bien du souci à sa famille. Il se maria aux Etats-Unis et Napoléon fit casser ce mariage. Plein de fougue, dépensier et frivole, Jérôme manifeste néanmoins un certain talent militaire lors de  la campagne de 1807. Son frère lui fait alors épouser Catherine de Wurtemberg et le propulse roi de Westphalie. Jérome donne beaucoup d’éclat à la Cour de Cassel et participe au début de la campagne de Russie. Au prétexte d’une brouille avec le maréchal Davout, il en retire les troupes westphaliennes après la bataille de Smolensk, leur évitant la terrible retraite. Retiré au Wurtemberg, il revient néanmoins en France pour la campagne de Waterloo puis repart en exil pour plus de trente ans. L’élection de son neveu Louis-Napoléon à la présidence de la République le ramène en France, dernier survivant de la fratrie Bonaparte. Il sera gouverneur général des Invalides, promu maréchal de France, un temps président du Sénat. C’est en 1852 qu’il achète le château de Vilgénis à Massy (91300), qu’il agrandit et aménage en style Empire, où il fait construire des écuries, transformer le parc et creuser deux lacs dont l’un en forme de chapeau impérial. Il y meurt le 24 juin 1860 et est inhumé à Paris dans l’une des chapelles latérales de l’église du Dôme des Invalides. La République l’y a laissé et il a même été rejoint, de 1940 à 1969, par le sarcophage de son neveu le duc de Reichstadt (le Roi de Rome) - rapatrié de Vienne et ‘‘restitué à la France’’ par Hitler - avant qu’il ne soit inhumé dans la crypte près du Tombeau de l’Empereur. Après la Seconde Guerre mondiale, le château de Vilgénis est devenu la propriété de la compagnie Air France qui a installé dans son parc le Centre de formation de son personnel technique. L’ensemble a été repris et aménagé en campus  en 2012 par le groupe aéronautique SAFRAN sous le nom d’Université Safran.

 

On peut aussi considérer comme proche de Napoléon, Laure Junot, duchesse d’Abrantès (1784-1838), née Laure Permon, dont les Mémoires – publiés dans les années 1830 avec la collaboration du jeune Honoré de Balzac - fourmillent d’anecdotes, à prendre néanmoins avec précaution, sur la vie à Malmaison et à la Cour des Tuileries, de détails croustillants sur la famille impériale, tout en n’hésitant pas à porter des jugements, parfois empreints de bon sens, sur la politique de la période du Consulat et de l’Empire qu’elle a particulièrement bien connue. En effet, la famille Permon était très proche de la famille Bonaparte et accueillit à Paris Napoléon, élève-officier d’artillerie. Dès le début du Consulat, Laure se fait remarquer par son esprit vif et primesautier, son goût pour la fête. Elle forme un couple bien assorti avec le général Andoche Junot (1771-1813), aide de camp favori du général Bonaparte qui est nommé ambassadeur au Portugal.  A Lisbonne, l’ambassadrice est parfaitement à l’aise dans cette fonction, de même que dans celle d’épouse du gouverneur militaire de Paris lorsque Junot est nommé à ce poste. C’est à cette époque, nous apprend-elle dans ses Mémoires que Junot lui achète à Bièvres (91570), au lieu-dit Petit-Bièvres, une maison dite Pavillon Marie-Antoinette (la Reine avait dû y passer) : « Cette campagne, car ce n’était pas assez considérable pour être appelé une terre, ni un château, était un charmant lieu d’agrément et tout à fait ce qui était nécessaire à Junot et à moi, en ce que nous pouvions y venir en peu de temps et qu’il lui était possible de se distraire en chassant dans les bois de Verrières et sur les étangs de Saclay ». Puis la vie reprend son cours, Junot part occuper le Portugal (dont il reviendra avec le titre de duc d’Abrantès) tandis que Laure cherche un rapprochement avec l’Autriche en devenant la maîtresse de Metternich, son ambassadeur à Paris. Junot, devenu schizophrène à la suite de plusieurs blessures à la tête, la laissera veuve dès 1813 et l’œuvre littéraire que la duchesse d’Abrantès a ensuite créée s’est révélée essentielle pour connaître de l’intérieur les quinze années d’histoire qu’elle a vécues de si près.

 

Enfin, l’historien essonnien est surpris de découvrir l’existence à Verrières-le-Buisson d’une avenue et d’un lac portant le nom de Cambacérès. Régis Cambacérès (1753-1824), le Deuxième Consul, l’alter ego de Napoléon durant ses absences de Paris, aurait-il fréquenté cette commune ? Il faut  déchanter car il s’agit en fait de son neveu Hubert de Cambacérès (1798-1881), duc et héritier de l’Archichancelier de l’Empire, page de Napoléon 1er et Grand-Maître des Cérémonies de Napoléon III, qui acheta le château des Migneaux à Verrières (dont il ne subsiste que le lac) et fut le bienfaiteur de la commune (avant les Vilmorin).

 

Quelques opposants

Tant le Consulat à vie en 1802 que la proclamation de l’Empire en 1804 (‘’Le gouvernement de la République est confié à un empereur’’, dit le sénatus-consulte !) soulèvent la réprobation de certains anciens conventionnels et de militaires. Parmi ceux-ci, Lazare Carnot (1753-1823). Simple capitaine sous l’Ancien Régime du fait de son absence de noblesse, Carnot se fait remarquer par  ses travaux en mathématiques et en mécanique. Député à l’Assemblée législative, puis membre de la Convention, il vote la mort de Louis XVI et dirige le Comité de la Guerre au Comité de salut public, devenant « L’Organisateur de la Victoire ». Après le coup d’Etat de Brumaire, il démissionne du poste de ministre de la Guerre et, nommé par Bonaparte au Tribunat, manifeste sa réserve sur l’évolution du régime et même son opposition. A partir de 1806, il se retire de la vie politique et se consacre à des travaux scientifiques, dans le château de Presles, à Cerny (91590), près de La Ferté-Alais, qu’il vient d’acquérir et dont le parc est l’objet de tous ses soins. Il reprend cependant du service en 1814 face à l’invasion du territoire national et accepte d’être ministre de l’Intérieur durant les Cent-Jours. Banni en tant que régicide, il s’exile en Prusse où il mourra. Le château de Presles, où il ne vécut que sept ans, est resté depuis deux siècles la propriété de ses descendants, occupé successivement par son fils le physicien Sadi Carnot, puis son petit-fils Marie-François Sadi Carnot, brillant ingénieur et inventeur, élu président de la République en 1887 et assassiné à Lyon le 25 juin 1894.

 

Autre héros de la Révolution, aussi célèbre à l’armée du Rhin que Bonaparte à l’armée d’Italie, le général Jean-Victor Moreau (1763-1813) a également marqué notre région. En effet, il avait épousé Eugénie Hulot, d’une riche famille de l’île Bourbon (Réunion) et, pour célébrer la victoire de son gendre à la bataille d’Hohenlinden le 3 décembre 1800, sa belle-mère fait construire dans sa propriété d’Orsay (91400) un castel néo-palladien, appelé le Temple de la Gloire, aujourd’hui classé monument historique. Mais Moreau préférait résider dans son château de Grosbois à Boissy-Saint-Léger, dont la forêt lui permettait de se consacrer à la chasse. En 1804, Moreau semble plus disposé que son collègue Premier Consul à favoriser une restauration monarchique. Il se trouve alors compromis dans la conspiration de Cadoudal, est condamné à seulement deux ans de prison au bénéfice du doute et Napoléon, furieux, l’exile aux Etats-Unis. Il en revient début 1813 dès les premières défaites de l’Empire, conspire avec Bernadotte en Suède et le tsar Alexandre mais est malencontreusement tué par un boulet français le 25 août 1813 sous l’uniforme russe.

 

Durant les campagnes de la Révolution et du Consulat, Moreau eut pour adjoint son fidèle ami le général Claude-Jacques Lecourbe (1759-1815), excellent tacticien. En 1800, Lecourbe fait l’acquisition du château de Soisy, à Soisy-sur-Seine (91450), dont les bois giboyeux communiquent avec ceux de Grosbois, ce qui permet aux deux amis de se rejoindre pour leur activité favorite. Lors du procès de Moreau, Lecourbe prend sa défense, lui manifeste bruyamment son soutien, sème la perturbation à l’audience. Napoléon, furieux, prive pendant dix ans Lecourbe de tout emploi, l’assigne à résidence dans son Jura natal, l’oblige à vendre son château de Soisy et le fera même accuser par Savary de détournement de mineur(e)s. Lecourbe ne retrouvera un commandement militaire que durant les Cent-Jours. A Sainte-Hélène, Napoléon dira regretter son attitude envers Lecourbe, décédé fin 1815.

 

On peut aussi placer parmi les opposants au régime impérial le marquis Gilbert du Motier de La Fayette (1757-1834). Retenu prisonnier en Autriche de 1793 à 1797, La Fayette chercha d’abord à se rapprocher de Bonaparte qui se méfiait de ses idées libérales puis s’en écarta lors de la proclamation du Consulat à vie. Retiré sur ses terres et entretenant de bonnes relations avec Joseph et Lucien Bonaparte, frères de l’Empereur, il fréquentait assidument son ami américain Daniel Parker, aventurier enrichi dans le trafic d’armes lors de la Guerre d’Indépendance, qui résidait au château de Draveil (aujourd’hui château de Paris-Jardins) où il recevait fastueusement les Américains de Paris en d’agréables parties. Quand La Fayette se cassa la jambe dans une chute de cheval, il vint passer sa  convalescence chez son ami Parker. En 1815, La Fayette pousse à l’abdication de Napoléon mais se tient à l’écart des Bourbons et ne reprendra un rôle politique qu’en 1830 pour favoriser l’avènement du duc d’Orléans. Ruiné, Parker avait vendu en 1821 le château de Draveil et mourut à Paris en 1829.

 

© Jacques Macé

 

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[1] « Que cela lui aurait-il fait de mourir trois mois plus tôt », disait-il.

 

[2] En 1812, Charles de Montholon, ambassadeur à Würzburg, avait été démis de ses fonctions pour avoir épousé, malgré l’interdiction de l’Empereur et en soudoyant le maire de la petite commune de Draveil, une jeune femme deux fois divorcée. Le maire de Draveil fut destitué pour infractions au Code civil et condamné à un mois de prison. Ce maire se nommait Louis Beaupied.

 

[3] Une commune d’Algérie  a porté ce nom (aujourd’hui Bougara dans la wilayia de Blida).

 

[4] Marin (Hervé), « Jomard à Lozère ». Essonne et Hurepoix, n° 82 (2012), 2013, p. 12

 

[5] L’Empereur ne se déplaçait jamais sans une suite, un peloton de cavalerie et ses voitures étaient fort bien conçues pour faire face à toutes les situations de la vie.

 

[6] Ancien hôpital parisien, détruit vers 1935,  pour la construction de la nouvelle faculté de médecine de la rue des Saints-Pères.

 

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